BuSCA n°19 - 18 juin 2020

 

Éditorial

 

Chers lecteurs,

Ce dix-neuvième BuSCA rapporte un nouvel événement d’encéphalite à tiques lié à la consommation de fromages au lait cru en UE. Après le signalement pour la première fois en France de cas d’origine alimentaire (voir notre précédent numéro), nous avons souhaité vous partager l’état des lieux des connaissances sur ce sujet dans un Point sur dédié,

Bonne lecture !

 

Dangers biologiques

 

Événement

Slovaquie, virus de l’encéphalite à tiques, fromage de brebis

Quatre cas récents d’encéphalite à tiques (EAT) liés à la consommation de fromage de brebis frais ont été rapportés le 6 juin en Slovaquie. Cet événement fait suite à plusieurs autres épisodes d’EAT d’origine alimentaire, liés à la consommation de produits à base de lait de chèvre ou brebis, survenus dans ce pays au cours des dernières décennies.  Lien

Étude

France, Salmonella Derby, viande de porc et de volaille

En France, S. Derby est l’un des dix sérovars de salmonelles les plus isolés chez l’Homme. Trois profils génomiques (ST39, ST40, ST682) sont associés au porc et un à la volaille (ST71). Parmi 299 souches humaines isolées en 2014 et 2015 et analysées par séquençage du génome entier (WGS), 94 % sont des profils porcins ; le profil génomique ST40 est le plus fréquent d’entre eux. Selon les auteurs, cette prédominance, chez l’Homme, des souches porcines par rapport aux souches aviaires pourrait être due à des différences dans les pratiques de manipulation des viandes le long de la chaîne alimentaire, ou encore à une moindre pathogénicité chez l’Homme du profil ST71. Cette étude est un exemple d’utilisation du WGS pour une analyse épidémiologique de cas sporadiques. Lien

Étude

Europe, évaluation des risques 

L’Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR) communique sur le Food Safety Knowledge Markup Language (FSK-ML). L’objectif de ce format harmonisé de données est de faciliter les échanges entre équipes au sujet des modèles d’évaluation des risques en sécurité sanitaire des aliments. Il a été utilisé dans le cadre du projet RAKIP (Risk Assessment Modelling and Knowledge Integration Platform) qui associe le BfR, l’Anses et le DTU food (Danmarks Tekniske Universitet). Lien

 

Dangers chimiques 

 

Événement

Danemark (cas) et Turquie (source), lectine, haricots rouges

Les autorités danoises ont notifié au RASFF une intoxination collective (16 cas) par la phytohémagglutinine dans un restaurant. La source était des haricots rouges produits en Turquie qui étaient étiquetés “précuits” alors qu’ils ne l’étaient pas. Suite à cette mauvaise information, le restaurant avait uniquement réchauffé le produit. Lien La phytohémagglutinine est une toxine, de la famille des lectines, naturellement présente dans certaines plantes et en particulier les haricots. Cette toxine est détruite par hydratation puis cuisson à 100°C pendant 10 minutes. Lien 

Évènement

Hollande (cas) et Inde (source), ciguatoxine, poisson

Les autorités néerlandaises ont notifié le 1er juin au RASFF cinq cas de ciguatera suite à la consommation de darnes de vivaneau (Lutjanus bohar) en provenance d’Inde via la France. Ce produit avait été distribué dans dix pays de l’Union Européenne. Lien. Cinq cas d’intoxination par la ciguatoxine avaient également été observés en mai en Nouvelle-Zélande après consommation de Epinephelus polyphekadion (Mérou camouflage ou Loche crasseuse) en provenance des îles Fidji. Lien. Ce type d’intoxination est dû à la consommation de chairs de poissons contaminées. La toxine, produite par des poissons herbivores ayant consommé certaines microalgues, s’accumule le long de la chaîne alimentaire. Le risque est associé à la consommation de poissons prédateurs des eaux chaudes. Lien

 

Étude

Europe, mycotoxines, céréales

Biomin, entreprise autrichienne, met en ligne un outil de prédiction des niveaux de contamination des céréales par les mycotoxines. Cet outil s’appuie sur des résultats d’analyse de laboratoire et des prédictions météorologiques. À la date du 16 juin, le risque le plus élevé en Europe centrale (zone incluant la France) concernait le deoxynivalenol (DON) dans le maïs. Lien

 

Point sur la transmission de l’encéphalite à tiques par voie alimentaire

 

Fin mai 2020, pour la première fois en France, des cas d’encéphalite à tiques (EAT) ont été liés à une source alimentaire. Le BuSCA fait le point sur ce risque, peu fréquent mais régulièrement décrit en Europe

 

Printemps 2020 : le premier épisode français de transmission alimentaire

 

L’épisode est localisé dans l'Ain. Les premiers cas sont survenus le 14 avril 2020 et le pic a été observé la semaine suivante. Au 10 juin, 37 cas d’encéphalite à tiques (EAT) ou de formes atténuées pseudo-grippales, avaient été recensés, dans un rayon de 30 km. Pour 28 d’entre eux, le diagnostic d'infection par le virus de l’EAT (Tick-Borne Encephalitis Virus, TBEV) a été confirmé par le Centre National de Référence (CNR) des Arbovirus. Les neuf autres cas étaient en cours d’investigation.

 

Trente et un des 32 premiers cas (97 %) ont rapporté avoir consommé du fromage ou de la faisselle à base de lait cru de chèvre en provenance d'un même producteur. Le génome du TBEV a été mis en évidence par le CNR dans du lait cru de chèvre et un lot de fromages de ce producteur, confirmant la cause alimentaire de ces infections. Un retrait-rappel avait été effectué avant même la connaissance de ce résultat et le producteur a ensuite mis en place une pasteurisation du lait avant sa transformation. Cet épisode de cas groupés d’EAT liés à une consommation alimentaire est le premier identifié en France [1].

 

Aire de répartition connue de l’encéphalite à tiques en Europe [4] [En vert l’épisode français d’avril 2020]

L’encéphalite à tiques, une maladie rare en France

 

L’encéphalite à tiques est due à un virus à ARN de la famille des Flaviviridae à laquelle appartiennent les virus de la fièvre jaune et du Zika. Le virus est principalement transmis à l’Homme par la piqûre d’une tique infectée. Les contaminations ont lieu essentiellement du printemps à l’automne (période d’activité des tiques). Il existe trois sous-types de ce virus : européen, extrême oriental et sibérien. Le sous-type européen est responsable de maladies moins graves que les deux autres et est le seul décrit en France. L’EAT sévit actuellement de l’Europe au nord du Japon et de la Chine, entre les 40e et 60e parallèles. De 5 000 à 13 000 cas d’EAT sont rapportés chaque année dans le monde. En Europe, les pays les plus touchés sont la Tchèquie, l’Allemagne, la Lituanie, la Suisse et la Suède.

 

La situation épidémiologique en France est mal connue. Une vingtaine de cas sont diagnostiqués par an, essentiellement en Alsace et en Haute-Savoie mais aussi plus récemment en Loire et Haute-Loire. Les contaminations sont en rapport avec les activités de loisirs et professionnelles [2] dans les zones boisées humides [1]. Quand elle se manifeste (environ les deux tiers des infections sont asymptomatiques), la maladie débute typiquement par une phase initiale de 2 à 7 jours avec fièvre, maux de tête, douleurs musculaires et fatigue. Après une période sans fièvre de 2 à 10 jours, la fièvre peut, dans la moitié des cas, réapparaître accompagnée de signes neurologiques. Ces signes peuvent être liés à une atteinte méningée isolée (maux de tête, nausées, vomissements, raideur de nuque) ou associée à une encéphalite (troubles du comportement, troubles de la parole, convulsions, ataxie, etc.) dans environ 40% des cas. La létalité de la maladie est estimée à 1% pour les infections par le sous-type européen [3].

 

 

La transmission alimentaire de l’encéphalite à tiques

 

Le TBEV est stable dans le lait réfrigéré et la pasteurisation l’inactive [5]. Sa transmission par voie alimentaire a été observée pour la première fois en Tchécoslovaquie en 1951, lors d’une épidémie pendant laquelle 660 personnes avaient été infectées. La source de l'infection était du lait de chèvre contaminé qui avait été mélangé à du lait de la laiterie locale et distribué sans pasteurisation. De 1997 à 2008, un total de 7288 cas d’EAT ont été signalés en Tchéquie. Soixante-quatre (0,9 %) d'entre eux étaient d'origine alimentaire. Dans la majorité de ces cas, le virus a été transmis par du lait de chèvre non pasteurisé (36 patients ; 56 %). Le fromage de brebis à base de lait cru (21 patients, 33 %) et le lait cru de vache (7 patients, 11 %) étaient aussi des véhicules du virus [6].  En Slovaquie, où 26 épisodes d’EAT d’origine alimentaire ont été enregistrés entre 2007 et 2016, la source la plus fréquente est aussi le lait et les produits laitiers d'origine caprine [7]. Cependant, l’épisode le plus important survenu dans ce pays ces dernières années est lié à la consommation de fromage de brebis ; parmi les 500 personnes exposées, 44 avaient contracté la maladie [8].

 

Des épisodes liés à une contamination alimentaire ont aussi été observés en Hongrie en 2007 [9], Allemagne en 2016 [10], Croatie en 2015 [11] et Autriche en 2018 [12]. Dans ces quatre pays, la source de contamination était du lait ou du fromage de chèvre non pasteurisé. Une contamination par du lait de vache est également fortement suspectée pour un cas hongrois [13]. Il est à noter que l’épisode autrichien s'est produit dans un pâturage alpin à 1 500 m au-dessus du niveau de la mer. Ce foyer confirme l'émergence de tiques et du TBEV à des altitudes croissantes en Europe centrale. Ainsi, en Tchéquie, les tiques Ixodes ricinus sont désormais présentes jusqu’à 1200 mètres d’altitude, alors qu’auparavant elles ne dépassaient pas 700 m [6].

 

 

Surveillance

 

L’absence de signes cliniques chez le ruminant domestique empêche une surveillance événementielle en élevage [14]. Dans plusieurs pays européens, des protocoles de surveillance basés sur l’analyse de lait ont donc été mis en œuvre.

 

En Suède, des échantillons de lait et de colostrum ont été prélevés sur des ovins et des caprins et analysés par ELISA pour détecter la présence d'anticorps anti-TBEV (suivi d’une validation par Western Blot et de la détermination des titres neutralisants). Cela a permis d'identifier trois foyers [15].

 

En Norvège, 112 échantillons de lait et de sang ont été prélevés sur des vaches provenant de cinq exploitations différentes réparties du sud au nord du pays. Les échantillons de lait ont été analysés par une PCR et validés par séquençage haut débit. Les échantillons de sérum ont été analysés par un test ELISA avec confirmation par séroneutralisation. Des animaux ont été testés positifs par RT-qPCR dans trois exploitations, et par ELISA et séroneutralisation dans une exploitation (négative en RT-qPCR) [16].

 

En Pologne, un total de 119 échantillons de lait non pasteurisé prélevés sur des vaches, chèvres et brebis de huit exploitations situées dans une zone à risque ont été testés. La présence d'ARN du virus a été recherchée par RT-qPCR et celle des anticorps anti-TBEV par ELISA. Le génome du TBEV a été trouvé dans le lait de brebis (22 %), suivi du lait de chèvre (21 %) et de vache (11 %). Les anticorps anti-TBEV ont été le plus fréquemment trouvés dans le lait de brebis (15 %). Ils ont été également mis en évidence, dans du lait de vache (3 %) mais pas dans le lait de chèvre [17].

 

 

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Ce bulletin est rédigé par l’équipe de veille de la Plateforme de surveillance de la chaîne alimentaire. Il n’engage pas les membres de la Plateforme.