BuSCA n°13 - 26 Mars 2020

 

Éditorial 

 

Chers lecteurs,

En cette période où l’actualité sanitaire est évidemment tournée vers l’épidémie de coronavirus, le comité éditorial de la Plateforme SCA poursuit ses activités de veille dans le domaine de la surveillance de la chaîne alimentaire.  Nous vous proposons ce treizième BuSCA, qui fait un focus sur un sérotype émergent de Streptococcus agalactiae en Asie du Sud-Est. Nous apportons notre soutien à tous les acteurs de la chaîne alimentaire, de la production primaire à la distribution, qui œuvrent actuellement dans des conditions très difficiles pour permettre aux Français de bien se nourrir.

Bonne lecture.

 

Dangers biologiques 

 

Évènement

France, Listeria, fromage

En France, dix cas de listériose humaine liés à la consommation de fromage ont été notifiés le 11 mars 2020 par la préfecture du Cantal, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. L’atelier de transformation d’une ferme du Cantal a été mis en cause, il a fait l’objet d’une fermeture administrative. Le rappel et le retrait de l’ensemble des fromages de cette ferme ont été effectués. Les produits concernés ont été commercialisés en vente directe, sur les marchés locaux ou en magasins. Les personnes ont toutes été infectées par la même souche de Listeria monocytogenes, caractérisée par le CNR Listeria. Chaque année, environ 300 cas de listériose sont enregistrés en France. Lien

 

Évènement

USA (cas) et Corée du Sud (source), Listeria, champignons

Aux USA, 36 cas de listériose humaine ont été rapportés par le CDC le 9 mars 2020, 30 personnes ont été hospitalisées et quatre sont décédées. Les cas ont été rapportés dans 17 États. Cette épidémie est liée à la consommation de champignons Enoki de la famille des Physalacriaceae, contaminés par Listeria monocytogenes et importés de Corée du Sud. La FDA a identifié la marque et la distribution du produit a été suspendue. Les champignons Enoki sont consommés en France. En 2019 l’UE a importé 3735 tonnes de champignons de Corée, toutes espèces confondues.  Lien

 

Suivi

Suède, Cryptosporidium, épinard

Les autorités suédoises ont clos l’épidémie liée à Cryptosporidium décrite dans le BuSCA n°6 car le nombre de cas est revenu à des niveaux similaires aux années précédentes, pour la même période. La plupart des cas se trouvaient à Stockholm. Deux sous-types de Cryptosporidium parvum ont été identifiés, le sous-type A (IIdA22G1c) et le sous-type B (IIdA24G1) (Promed). Au total 122 cas ont été associés au sous-type A. L'âge moyen des personnes infectées par ce sous-type était de 39 ans (2 à 83 ans). L'enquête indique que ce sont les épinards contenus dans des boissons qui sont à l'origine de l'infection des cas du sous-type A. Pour les 65 cas du sous-type B, il s'agit d'une source d'infection différente mais non-identifiée. A noter que la fiche de description de danger de Cryptosporidium spp. a été récemment mise à jour par l’Anses (Fiche danger Anses). Lien

Étude

Monde, Anisakidae, poissons

Une méta-analyse publiée le 9 mars 2020 présente l’évolution de l’abondance de deux genres d’Anisakidae, de 1967 à 2017, chez les invertébrés (hôtes intermédiaires) et les poissons. Ces nématodes sont un danger pour l’Homme, particulièrement quand les poissons sont consommés crus ou insuffisamment cuits (Fiche danger Anses). La présence dAnisakis spp. a fortement augmenté au cours des 50 dernières années alors que celle de Pseudoterranova spp. est restée stable.  Les cycles parasitaires des deux genres sont différents : les hôtes définitifs de Anisakis spp. sont des cétacés et ceux de Pseudoterranova spp des pinnipèdes. D’après les auteurs, l’augmentation des populations de cétacés, depuis la mise en place de mesures de protection en 1972, pourrait être une des causes de l’augmentation de l’abondance de Anisakis spp. Lien

 

Dangers chimiques 

 

Étude

Islande, Norvège, Pologne, dioxines bromées, foie de morue

Contrairement aux dioxines chlorés, les données de littérature sur la présence des dioxines bromées sont rares. Cette étude a montré la présence de dibenzofuranes polybromés (PBDF) dans des foies de morues en conserve collectés en 2017 et des huiles médicinales à base de foie de morue datant de 1972 à 2001. Les dibenzo-p-dioxines polybromées (PBDD) n’ont été détectées que dans les foies en conserve. Les concentrations mesurées ont permis de proposer des valeurs en équivalents toxiques (TEQs) de l’ordre de 0,14 à 0,17 pg/g pour les huiles et de 0,12 à 0,25 pg/g pour les produits en conserve. En dépit du fait que l’exposition qui en résulte est faible au regard de la récente valeur toxicologique de référence (2 pg/ kg/semaine), il apparaît, d’une part que ces valeurs sont très certainement sous-évaluées en raison de l’absence de standards analytiques adaptés, d’autre part que ces composés contribuent à la toxicité cumulative globale associée aux dioxines/furanes (PCDD/F) et polychlorobiphényles (PCBs) détectés à des niveaux supérieurs dans ces mêmes échantillons. Lien

Étude

Mycotoxines, aliments pour poissons

Une étude expérimentale, publiée le 10 mars 2020, rapporte l’impact potentiel des conditions de stockage à court terme des aliments pour poissons en aquaculture sur le développement de champignons et la contamination en mycotoxines. Ces travaux montrent en particulier que des teneurs élevées en ochratoxine A (OTA) de 501 µg/kg peuvent être détectées dans les aliments après un stockage de courte durée (un mois) à une température de 25°C et une hygrométrie supérieure à 60%. Il n’existe pas de valeur limite de l’OTA dans les aliments pour poissons, mais cette valeur dépasse la valeur guide de 250 µg/kg recommandée dans les matières premières de l’alimentation animale (recommandation 2006/576/CE). Lien

Bilan

Paraffines chlorées (PC), aliments

L’EFSA a publié le 9 mars 2020 un rapport scientifique sur le risque lié à la présence de paraffines chlorées (PC, Chloroparaffines) dans les aliments pour animaux et les denrées alimentaires. Issues d'un raffinage du pétrole elles sont utilisées comme retardateurs de flamme ou additifs d’huiles de coupe. Les paraffines chlorées à chaînes courtes (PCCC) ont récemment été ajoutées à la Convention de Stockholm en raison de leur toxicité avérée. Les organes cibles des PCs seraient le foie, le rein et la thyroïde. Le groupe d’experts a choisi comme « doses repères » (BMDL Benchmark Dose) 2,3 mg/kg de poids corporel par jour (mg/kg pc/jour) pour les PCCC et 36 mg/kg pc/jour pour les PCs à chaînes moyennes (PCCM), alors qu’aucune valeur n’a pu être proposée pour les PCs à chaînes longues (PCCL).  Lien

 

Bilan

Mycotoxines, aliments

L’EFSA a publié le 9 mars 2020 un avis scientifique sur les risques pour la santé publique liés à la présence d'aflatoxines dans les aliments. L'évaluation des risques s'est limitée aux aflatoxines B1 (AFB1), AFB2, AFG1, AFG2 et AFM1. Les céréales contribuent fortement à l’exposition alimentaire à l’AFB1 alors que le lait et les produits laitiers fermentés sont les principaux contributeurs de l’exposition à l’AFM1. Les aflatoxines sont génotoxiques et peuvent provoquer des carcinomes hépatocellulaires (CHC) chez l'Homme. La “dose repère” (BMDL) pour l’AFB1 est de 0,4 μg/kg/jour, d’après des études réalisées chez le rat.  Lien

 

Point sur Streptococcus agalactiae : un sérotype émergent en provenance d’Asie du Sud-Est ?

 

Streptococcus agalactiae n’est pas considéré à ce jour comme un danger biologique transmissible par les aliments. Cependant, la FAO prévoit la mise en place en septembre 2020 d’un groupe d’experts, suite à l’importante TIAC observée à Singapour en 2015. Cette TIAC était liée à une souche particulière de sérotype III et de séquence type ST-283 et à la consommation de poisson d’eau douce cru. Le BuSCA fait le point sur les caractéristiques de cet épisode, les flux d’importation vers l’Europe et la situation en France vis-à-vis de cette souche.

 

Yusheng (source Timothy Barkham)

Des infections invasives d’origine alimentaire : une réalité en Asie du Sud-Est

Streptococcus agalactiae, aussi appelé Streptocoque du groupe B (SGB), est un streptocoque très largement répandu dans les populations humaines : environ un tiers de la population héberge cette bactérie dans son système digestif, génital ou urinaire. Cette bactérie pathogène cause des mammites chez les vaches laitières et des infections invasives chez les poissons [1]. Les infections humaines invasives à Streptococcus agalactiae d’origine alimentaire constituent un phénomène émergent en Asie du Sud-Est. En 2015, 238 cas ont été recensés à Singapour, associés à la consommation de Yusheng, une salade de poisson cru consommée pendant les festivités du nouvel an chinois [2]. Une souche particulière a été associée à cet épisode ; elle a été caractérisée de sérotype III et de séquence type ST-283. Cette souche a également été retrouvée en proportion importante dans les banques de souches de cas humains de plusieurs pays de la région (Thaïlande, Laos, Vietnam), ainsi que dans des sites de production de tilapias en Malaisie et au Vietnam, et dans des denrées alimentaires à base de poisson à Singapour [3]. Cet épisode a touché des adultes en bonne santé, ce qui est une caractéristique très notable car les streptocoques du groupe B infectent habituellement les nouveau-nés, les personnes âgées ou immunodéprimées. Une étude de cohorte rétrospective a ainsi montré que les patients atteints de l'infection ST-283, comparés à des patients infectés par des SGB non-ST-283, étaient plus jeunes et présentaient moins de comorbidités, mais étaient plus susceptibles de développer une méningo-encéphalite, une arthrite septique et une infection de la colonne vertébrale. Le taux de létalité a été de 3,4 %. L’émergence de S. agalactiae ST-283 en Asie du Sud-Est daterait des années 90. Cette souche a également été isolée au Brésil, la filière aquacole de ce pays ayant été contaminée lors d’importations de poissons vivants de Singapour [4]. Elle est donc clairement associée à une contamination de filières aquacoles et à des émergences de cas humains d’origine alimentaire. Elle représente donc une menace à la fois pour la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire des aliments. Ce constat a conduit la FAO à lancer un appel à données et à experts afin d'examiner et discuter les données et les documents de référence disponibles sur S. agalactiae du groupe B d'origine alimentaire, dans une perspective d'évaluation des risques [5]. L’Anses a publié en 2015 un avis sur la hiérarchisation des dangers sanitaires exotiques ou présents en France métropolitaine chez les poissons d’élevage. Trois streptocoques, dont S. agalactiae sont listés dans les dangers présents en France, mais le risque de contamination par voie alimentaire n’est pas évoqué [6].

 

Un flux important d’importations de poissons d’eau douce dans l’Union Européenne

En 2019, 46 000 tonnes de poissons d’eau douce ont été importées dans l’Union Européenne. Quatre espèces sont concernées : la perche du Nil (44 %), le tilapia (32 %), la carpe (13 %) et les anguilles (1 %). La perche du Nil est importée principalement sous forme de filet frais, les autres espèces sont presque exclusivement importées congelées (-20°C). La perche du Nil provient des trois pays riverains du lac Victoria (Tanzanie, Ouganda et Kenya). Le tilapia provient principalement de Chine (82 %) et du Vietnam (11 %). Quant au mode de consommation, la texture de la chair de la perche du Nil n’est pas adaptée à la préparation en sushi et sashimi. Le tilapia est lui utilisable pour ces préparations crues [7] et son coût est attractif. Par ailleurs, les Streptocoques du groupe B survivent bien à une congélation à -20°C [8]. Face à l’engouement des préparations à base de poissons crus telles que le ceviche ou le namasu en plus des traditionnels sushi et sashimi, une augmentation de la fréquence d’exposition des consommateurs européens au SGB n’est pas à exclure. 

 

 

Données de surveillance en santé humaine en France

En France, les maladies à streptocoques ne sont pas à déclaration obligatoire mais le Centre National de Référence [9] anime un réseau de laboratoires qui centralise environ 30 % des souches de streptocoques invasifs isolées en France. Par ailleurs, Santé Publique France surveille depuis 1987 par le réseau Epibac les infections invasives (méningites et bactériémies) d’origine bactérienne, qui sont une des principales causes infectieuses de morbidité sévère et de mortalité chez l’adulte et chez l’enfant [10]. Les infections invasives à SGB touchent en majorité des nouveau-nés. Les cas de méningite chez les adultes sont en nombre stable depuis plusieurs années : environ une dizaine de souches sont remontées au centre national de surveillance (CNR) chaque année. Un séquençage du génome complet de l’ensemble des souches collectées depuis plus de 10 ans est en cours par le CNR. Un typage de la capsule a déjà montré que près de la moitié des souches sont de sérotype III. Parmi celles-ci, une technique d’identification rapide a montré que 60 % sont de type ST-17, type qui a émergé à la fin des années 60 et connu pour être particulièrement responsable de méningite chez le nouveau-né. On peut donc déjà affirmer que le type ST-283 n’est pas prédominant. Par ailleurs, aucun lien géographique ou épidémiologique ne semble exister entre ces cas. ST-283 a cependant déjà été isolé en France : il a été retrouvé deux fois dans une étude portant sur 119 cas d’infections ostéo-articulaires par SGB [11].

  

Ce bulletin est rédigé par l’équipe de veille de la Plateforme de surveillance de la chaîne alimentaire. Il n’engage pas les membres de la Plateforme.