Plusieurs publications récemment signalées dans le BuSCA concernent des cas d’anisakidose humaine ou d’allergie, induits par l’ingestion de larves d’Anisakidae parasitant des invertébrés ou des poissons. Le BuSCA fait le point sur ce parasitisme et son impact au regard des pratiques de consommation actuelles.
Les dangers Anisakis spp. et Pseudoterranova spp. et leur surveillance en France et en Europe
Les nématodes responsables des anisakidose chez l’Homme appartiennent aux genres Anisakis et Pseudoterranova, au sein de la famille des Anisakidae. Ces parasites ont une grande diversité d’hôtes intermédiaires possibles (Figure 1) et tous les produits de la pêche prélevés dans le milieu naturel peuvent contenir des larves. Selon les espèces et la zone géographique de pêche, de 15 à 100 % des poissons sauvages de mer sont parasités par les larves d’Anisakidae, parfois présentes en très grande quantité. Les larves d’Anisakis sont principalement situées dans la cavité viscérale et peuvent migrer dans les muscles, les larves de Pseudoterranova, elles, sont préférentiellement localisées dans les muscles [1]. La contamination de l’Homme est quasi-exclusivement alimentaire et se produit après consommation de produits de la pêche crus, insuffisamment cuits (rosés à l’arête) ou insuffisamment transformés (faiblement marinés, salés ou fumés à froid). Dans ce cas, des pathologies généralement digestives peuvent se développer [2]. Des réactions allergiques ont aussi été décrites. Entre 2010 et 2014, l’incidence de l’anisakidose en France était estimée à 3,8 cas par an pour les pathologies digestives et 7,4 cas par an en incluant les pathologies allergiques [3]. Ces données indiquent une diminution des anisakidoses par rapport aux années antérieures, mais une émergence des réactions allergiques. Ces chiffres sont probablement sous-estimés du fait d’un sous diagnostic. A l’échelle mondiale, plus de 2 000 cas humains sont diagnostiqués chaque année (probablement également sous-estimés).
En Europe, sur les 149 notifications concernant une infestation parasitaire de produits de la pêche rapportées au RASFF depuis 2017, 135 concernaient un parasite de la famille des Anisakidae (principalement du genre Anisakis). La totalité de ces 135 notifications impliquaient un produit de la mer ou d’eau douce, provenant majoritairement d’Espagne ou de France. Ces alertes étaient émises principalement par l’Italie, l’Espagne et la France. Dans le bilan EFSA One Health 2018 sur les zoonoses [4], l’Espagne, unique État-membre ayant mené une surveillance, a rapporté un taux de contamination sur poisson cru ou produits à base de poisson de 7,2 % (aux maillons pêche et distribution). En France, un premier plan de surveillance a été mené en 2017 par la Direction Générale de l’Alimentation (DGAl). Le taux d’infestation variait entre 29,7 % pour le lieu noir et 88,9 % pour le merlan [5]. Parmi les sept espèces prélevées, le merlan, la lingue bleue, le merlu et la lotte présentaient les niveaux d’infestation les plus élevées. Enfin, une étude européenne [6] de 2017 sur un échantillon de 16 espèces de poissons des zones de pêche européennes a montré que l’ensemble des profils considérés à haut risque concernait des poissons potentiellement consommés crus et sans congélation préalable (merlu, cabillaud, anchois).
Les publications et évènements récents
Le BuSCA a rapporté à plusieurs reprises des études et cas humains d’anisakidose. Le BuSCA n°7 rapportait les résultats d’une méta-analyse sur 83 études internationales portant sur la prévalence des Anisakidae dans les espèces de poisson importées sur le marché belge [7]. La prévalence d’Anisakidae estimée pour les deux poissons les plus consommés en Belgique était de 33 % pour le cabillaud et de 5 % pour le saumon. La publication d’une méta-analyse présentant l’évolution de l’abondance de deux genres d’Anisakidae, de 1967 à 2017, chez les invertébrés et les poissons [7] a été rapportée dans le Busca n°13. La prévalence d’Anisakis spp. aurait fortement augmenté alors que celle de Pseudoterranova spp. serait restée stable. Le Busca n°17 rapportait un épisode espagnol de TIAC après l’ingestion de larves d’Anisakidae parasitant des anchois préparés au vinaigre. Un cas humain récent d’anisakidose (Pseudoterranova azarasi) a également été décrit après consommation de sashimi [8].
Les actions possibles par les professionnels…
Mieux détecter…
Au delà de l’impact en santé humaine, les altérations organoleptiques des poissons parasités et des produits dérivés occasionnent des pertes économiques. Les trois principales méthodes de détection des Anisakidae sont : l’œil nu, la table de mirage (méthodes non destructives) et la méthode de la presse/UV (méthode très sensible et spécifique mais destructive) [9]. Le plan de surveillance français de 2017 a montré que les deux méthodes non destructives, utilisées par les professionnels, ne détectaient pas toutes les contaminations observées par la méthode destructive [5].
…Pour mieux maîtriser
Le règlement européen (CE) n°853/2004 prescrit des obligations aux professionnels pour la réalisation de contrôles visuels sur les produits de la pêche et l’interdiction de mise sur le marché des produits présentant des parasites visibles à l’œil nu. Toutefois les contrôles visuels n’assurent pas une protection totale du consommateur vis-à-vis du risque parasitaire. Aussi, les parasites pouvant être encore vivants quand les produits de la pêche sont consommés crus, la réglementation européenne prévoit donc que ces derniers soient soumis à un traitement préalable par congélation (-20°C à cœur/24h ou -35°C à cœur/15h).
Au regard des données de surveillance française de 2017, la DGAl a publié en 2019 une instruction technique afin de rappeler les dispositions réglementaires et préciser la mise en œuvre attendue par les professionnels (notamment les opérations de nettoyage/tri/parage), ainsi que les modalités des contrôles officiels [10]. Depuis 2018, le projet ATTILA (Actions de développement de Technologies et Techniques Innovantes pour la Lutte contre les larves d’Anisakidés), porté par France Filière Pêche, vise à développer un outil pour faciliter le travail de nettoyage des poissons et à identifier les conditions influençant la migration des larves d’Anisakidae vers les filets des poissons.Concernant le risque allergique, il n’existe pas de mesure permettant de prévenir ou maîtriser le risque par les professionnels. Il n’y a pas d’étiquetage obligatoire concernant les allergènes des Anisakidae.
… et par le consommateur
Pour la préparation à la maison des poissons frais, il est nécessaire de cuire à cœur les poissons sauvages (>1min à 60°C), qui ne doivent pas être consommés « rosés à l’arête ». Si le poisson est destiné à être consommé cru, il faut choisir des poissons d’élevage ou des poissons sauvages qui ont été congelés. Dans un congélateur domestique, sept jours sont nécessaires pour assainir les produits. Le projet FreezAni lancé en 2019 vise à définir précisément les conditions de congélation domestique pour tuer les larves d’Anisakidae dans les produits de la pêche. Seule l’éviction des produits de la pêche permet d’éliminer totalement le risque allergique.
Perspectives
Une approche européenne d’élicitation d’expert [11] menée en 2019 a permis d’identifier que les priorités pour maîtriser le danger Anisakidae résidaient dans l’optimisation de la surveillance (espèces à surveiller), l’évolution des pratiques de consommation et l’exploration des interactions parasite/microbiote. Une prise en compte par l’ensemble de la filière pêche, depuis les manipulations faites sur les navires jusqu’aux contrôles des produits vendus et l’information des consommateurs est indispensable à une meilleure maîtrise de ce danger émergent. Le renouvellement prochain du plan français de surveillance de 2017 permettra de mettre en évidence les effets des mesures mises en place.