Quand des évènements liés à des intoxications alimentaires sont rapportés, la métrique généralement utilisée pour en décrire l’importance est le nombre de cas observés. Cependant un cas peut correspondre à des réalités diverses : d’une gastro-entérite simple rétrocédant spontanément en quelques jours au décès d’un enfant souffrant, par exemple, d’un syndrome hémolytique et urémique. Pour caractériser cette diversité, et mieux apprécier l’impact sanitaire d’un évènement ou d’une maladie donnée, une première possibilité est de comptabiliser le nombre de personnes qui, parmi les cas, ont été hospitalisées et celles qui sont décédées. Pour aller plus loin dans l’évaluation des risques et faciliter la prise de décision en santé publique un indicateur composite a été développé: le DALY. Il permet d’évaluer conjointement la fréquence de survenue et la sévérité d’une maladie.

Un concept globlal

L’indicateur le plus couramment utilisé est l’espérance de vie corrigée du facteur d’incapacité, l’ACVI (pour Année de Vie Corrigée du facteur d’Invalidité), auquel on préfère l’acronyme anglais, le DALY (pour Disability-Adjusted Life Year). Les DALYs expriment l’impact d’une maladie en années de vie perdues. Une année peut être perdue par mortalité prématurée ou par vie avec une incapacité (morbidité). La mortalité est mesurée en années de vie perdues sur l’espérance de vie, par classe d’âge et par sexe, de la population considérée (YLL – years of life lost ) et la morbidité par le nombre d’années vécues avec l’incapacité caractérisée (YLD – years lost due to disability). Pour estimer l’incapacité, le calcul prend en compte un coefficient d’incapacité qui varie de 0 (bonne santé) à 1 (décès) : le DW (disability weigth). Enfin, les composantes YLL et YLD sont additionnées pour regrouper dans un seul indicateur, le DALY, le fardeau de la maladie en termes de mortalité et de morbidité.

Définition DALY
Figure 1: La définition du DALY[8]

Cette méthode d’évaluation a été mise au point dans les années 1990, sous l’impulsion de l’OMS et de la Banque mondiale, pour comparer la charge de morbidité de manière cohérente, quelles que soient les maladies, les régions du monde et les facteurs de risque. Auparavant, les maladies étaient principalement comparées par le nombre d’années de vie perdues par mortalité ; les maladies non-mortelles étaient donc considérées comme n’ayant pas d’impact, même pour celles entraînant des handicaps importants. Les DALYs sont en particulier utilisés dans les études mondiales sur les fardeaux des maladies, produites par l’OMS [1].

Les DALYs et la sécurité sanitaire des aliments

DALY RIVM
Figure 2: DALYs moyen par an pour 14 dangers microbiologiques associés à une transmission alimentaire aux Pays-Bas [3]

Dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments, les DALYs sont principalement utilisés pour les dangers microbiologiques, car l’imputabilité des cas à la présence du pathogène est forte, en particulier du fait de leur caractère le plus souvent aiguë. Ces pathologies font l’objet d’une surveillance pour disposer de données sur leur incidence et leur sévérité [2]. En Europe, les travaux du RIVM, l’institut national néerlandais de la santé publique et de l’environnement, font référence dans le domaine de l’évaluation de DALYs associés aux dangers microbiologiques (Figure 2) [3].

Une étude récente a estimé la contribution des aliments et de la préparation des aliments dans le fardeau des maladies infectieuses transmises par les aliments en France [4]. Pour cette étude, une pondération de gravité a été affectée à chaque maladie en utilisant une échelle semi-quantitative logarithmique, exprimée en nombre de DALYs par cas de cette maladie. Parmi les maladies de plus faible fardeau (moins de 10 DALYs / 1000 cas) sont identifiées les infections à norovirus et Bacillus cereus, puis viennent ensuite les infections à Campylobacter et Salmonella non-typhiques (10 à 99 DALYs / 1 000 cas), les hépatites A et les intoxications botuliniques (100 à 999 DALYs / 1 000 cas) et enfin la listériose et les infestations par Echinococcus multilocularis (plus de 1 000 DALYs / 1000 cas).

Les dangers chimiques entraînant des pathologies aiguës, comme les empoisonnements, peuvent disposer de données équivalentes à celles des dangers biologiques. Cependant, quand les impacts de santé associés à ces dangers apparaissent longtemps après l’exposition et se traduisent par des pathologies chroniques (cancers, impacts neuro-développementaux, baisse de fertilité, etc.) il est plus difficile d’imputer la pathologie à la contamination. Les données nécessaires à l’estimation des DALYs sont alors plus difficiles à obtenir ; elles nécessitent des études épidémiologiques permettant de quantifier les relations entre quantité ingérée d’aliment contaminé et pathologies observées (dose-réponse) ou les risques relatifs de survenue des maladies. Ces études sont encore rarement disponibles.

Ainsi, les travaux de l’OMS sur la charge mondiale de morbidité imputable aux maladies d’origine alimentaire, publiés en 2015 pour la première fois, ont pris en compte 28 dangers biologiques (virus, bactéries, protozoaires, helminthes) et seulement trois dangers chimiques (aflatoxines, dioxines, cyanure du manioc) [5]. De même, cette difficulté à évaluer les DALYs associés aux dangers chimiques explique, par exemple, pourquoi l’Anses n’a pas traité simultanément l’ensemble des dangers dans ses travaux sur la méthodologie de hiérarchisation des dangers biologiques et chimiques dans les aliments [2].

Pour dépasser cette difficulté, des méthodes alternatives doivent être développées. Ainsi, une équipe française a développé une méthode multicritère pour hiérarchiser simultanément les risques biologiques et chimiques [6]. Dans cette étude, les critères utilisés pour caractériser une maladie sont : le taux de létalité (nombre de décès dus à une maladie, divisé par le nombre de personnes diagnostiquées pour cette maladie), la proportion de personnes hospitalisées parmi les personnes diagnostiquées, la durée des symptômes et la probabilité de séquelles.

A noter que les DALYs prennent en compte uniquement l’impact de l’exposition aux dangers sur la santé de l’Homme. Or, il ne s’agit pas du seul critère qui guide les politiques alimentaires et les choix des consommateurs. D’autres axes, tels que l’économie, l’éthique, les préférences personnelles et la durabilité sont à inclure pour expliquer la prise de décision dans le domaine de l’alimentation (Figure 3) [7].

Fusée de la décision
Figure 3: Les DALYs au sein d’autres critères de prise de décision [7]