Plusieurs brèves ont été publiées dans le BuSCA concernant les mycotoxines, notamment un évènement récent en France concernant la consommation de riz contaminé par des aflatoxines B1 [1]. Ce Point sur aborde les problématiques liées à la surveillance des mycotoxines en alimentation humaine.
Des contaminants nombreux et ubiquistes
Les mycotoxines sont des contaminants naturels produits par les micromycètes, des champignons filamenteux (moisissures) pouvant se développer sur les plantes, au champ, ou lors du séchage et du stockage. Plusieurs centaines de mycotoxines, de familles chimiques très diversifiées, ont été identifiées. Parmi elles, une trentaine possède des propriétés toxiques qualifiées et sont néfastes à la santé de l’Homme et des animaux [ 2 , 3 ]. Les mycotoxines sont essentiellement présentes dans les denrées d’origine végétale, majoritairement les céréales, les fruits, y compris leur jus et leurs produits de fermentation, les fruits secs, les légumes et les épices. Elles sont retrouvées tout au long de la chaîne alimentaire, car elles sont très résistantes aux processus de transformation. On en retrouve également certaines dans des produits alimentaires d’origine animale, comme le lait, les abats et leurs dérivés, suite à l’ingestion par les animaux d’élevage d’aliments contaminés.
Une même espèce de moisissure peut synthétiser différentes mycotoxines selon les conditions environnementales. À l’inverse, une même mycotoxine peut être produite par plusieurs espèces de moisissures. L’association entre une mycotoxine et une matrice alimentaire n’est donc pas spécifique. Par ailleurs un même produit alimentaire peut être contaminé par de multiples mycotoxines.
Les principales mycotoxines présentes dans l’alimentation humaine et faisant l’objet de préoccupations sanitaires ayant conduit à la mise en place de réglementations au niveau européen et mondial sont les aflatoxines, les fumonisines, les trichothécènes, l’ochratoxine A, la patuline, la zéaralénone et ses métabolites, ainsi que les alcaloïdes de l’ergot. Ces mycotoxines sont produites par des espèces fongiques appartenant principalement à quatre genres : Aspergillus, Fusarium, Penicillium et Claviceps. Les genres Fusarium et Claviceps sont plus fréquemment identifiés dans les champs, alors que les genres Aspergillus et Penicillium se développent plus particulièrement pendant le stockage ou le transport des matières premières ou des denrées alimentaires.
L’évaluation des risques
L’ingestion de mycotoxines peut provoquer chez l’Homme des effets chroniques, voire aigus en cas d’exposition à des doses élevées. Les aflatoxines sont parmi les substances mutagènes et cancérigènes les plus puissantes connues. Elles ont également un pouvoir hépatotoxique. D’autres mycotoxines sont dotées de propriétés œstrogéniques (zéaralénone et ses métabolites), immuno/hématotoxiques (patuline, trichothécènes, fumonisines), dermonécrosantes (trichothécènes), néphrotoxiques (ochratoxine A) [ 4 ].
Concernant la caractérisation du danger, des valeurs toxicologiques de référence (VTR) ont été proposées aux niveaux international (JECFA), européen (Efsa) et national (Anses). En France, l’exposition alimentaire de la population générale a été estimée lors des études de l’alimentation totale réalisées en 2005 (EAT1) et 2009 (EAT2). Entre 2005 et 2009 l’exposition à l’ochratoxine A, à la patuline, au nivalénol (un trichothécène de classe B) et à la zéaralénone a diminué. Par contre, l’exposition aux fumonisines et aux aflatoxines était similaire dans les deux études. Le risque n’a pas pu être écarté pour les trichothécènes de classe A que sont T2 et HT2 (pas de dépassement de VTR sous l’hypothèse basse mais des dépassements jusqu’à 30 % chez les adultes et 74 % chez les enfants sous l’hypothèse haute). Il en était de même pour le déoxynivalénol (DON, principal trichothécène de classe B) et ses dérivés acétylés pour lesquels les calculs d’exposition montrent des dépassements des VTR (de 0,5-0,7 % chez les adultes et 5-10 % chez les enfants selon les hypothèses retenues). Une étude de l’alimentation totale infantile (EATi) [ 5 ] publiée en 2016 a mis en évidence des niveaux d’exposition de la population infantile préoccupants pour les trichothécènes (DON et ses dérivés et les toxines T2 et HT2). Au niveau européen, les données d’exposition alimentaire de la population aux mycotoxines produites par Fusarium ont également été publiées : les niveaux les plus élevés d’exposition au DON ont été enregistrés en Italie, et à T2 et HT2 en Angleterre [ 6 ].
La réglementation européenne
En Europe, la présence des mycotoxines est réglementée en fonction des denrées alimentaires. Les teneurs maximales (TM) sont très variables d’une mycotoxine à une autre, et dépendent notamment des matrices considérées et du niveau de transformation des matières premières agricoles. La définition des TM des couples mycotoxines-matrices fait l’objet de discussions permanentes au sein des instances européennes, pour les faire évoluer au regard des nouvelles connaissances scientifiques. Les mycotoxines DON et zéaralénone sont réglementées par une TM dans les produits alimentaires à base de maïs (céréales petit déjeuner, snack, etc.) ou d’autres céréales (farine, semoule, pâte, pain, aliments pour bébé). Pour les fumonisines (B1+B2), les TM sont fixées exclusivement dans le maïs et les produits dérivés. Concernant les toxines T2 et HT2, une recommandation parue en mars 2013 [ 7 ] donne des niveaux indicatifs mais ne fixe pas de teneurs maximales. Les mycotoxines produites par les moisissures Claviceps spp (ergot) sont réglementées indirectement par une limite sur la proportion pondérale d’ergot : cette limite est de 0,5 g/ kg (0,05 %) pour le blé tendre et le blé dur, selon le codex Alimentarius (CODEX STAN 199-1995) et le règlement CE n°1881/2006 modifié [ 8 ]).
La surveillance, la vigilance et l’alerte
Des plans de surveillance des mycotoxines sont mis en œuvre par chaque État membre de l’Union Européenne. En France, la direction générale de l’alimentation (DGAL) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) organisent les plans de surveillance et de contrôle dans les aliments pour animaux et l’alimentation humaine. L’Anses recense, en lien avec le réseau des centres antipoison, les intoxications humaines susceptibles d’être liées à des mycotoxines. Les acteurs professionnels participent quant à eux à la surveillance en réalisant des autocontrôles et en déclarant les éventuelles non-conformités aux autorités compétentes.
Les notifications Rasff (Rapid Alert System for Food and Feed) participent à la surveillance des mycotoxines dans les aliments au niveau européen [ 9 ]. Entre 2017 et 2020 (inclus), il y a eu 2 241 notifications avec la catégorie de danger « Mycotoxine », 222 concernent la France. Il s’agissait majoritairement de rejets à la frontière (n=140) et d’alertes (n=75). Les notifications concernaient majoritairement les aflatoxines (n=179) et l’ochratoxine A (n=32). Les produits concernés étaient principalement les noix (n=99), les fruits et les légumes (n=85), les céréales (n=18), les herbes et les épices (n=13). Concernant les céréales, les notifications étaient issues de contrôles officiels sur le marché (n=10) ou d’autocontrôles (n=8) contrairement aux autres produits pour lesquels les notifications ont été majoritairement établies suite à des contrôles aux frontières. De son côté, l’office fédéral suisse de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) rapporte que 2 % des produits testés sur le marché suisse et à la frontière se sont révélés non conformes par rapport au règlement CE n°1881/2006, pour les mycotoxines et la majorité de ces non-conformités étaient dues aux aflatoxines [ 10 ].
Les points d’amélioration
A ce jour, nous disposons de peu de données sur la co-occurrence des mycotoxines, car les niveaux d’exposition ont été principalement établis pour les mycotoxines considérées séparément. À la demande de la Commission européenne, l’Efsa a engagé des travaux depuis plusieurs années pour émettre des recommandations sur l’ensemble des familles de mycotoxines. Certains avis recommandent d’inclure les formes dérivées (métabolites) des mycotoxines pour lesquelles l’Efsa a établi des « VTR groupées » [ 11 ]. Les méthodes analytiques existantes sont satisfaisantes pour répondre aux exigences réglementaires actuelles, mais le transfert de ces méthodes vers les plans de surveillance de routine reste difficile à mettre en place en raison des coûts élevés de l’instrumentation. Les limites analytiques peuvent être encore améliorées afin de mieux détecter les très faibles quantités dans les aliments, en particulier pour les toxines T2 et HT2. Actuellement, la surveillance s’effectue en fonction des VTR externes (doses externes d’exposition). Il n’existe pas de VTR internes (niveaux de biomarqueurs associés à une exposition) définies chez l’Homme. Une initiative européenne de biosurveillance humaine vise à estimer l’exposition interne à divers dangers et établir si possible des valeurs guides européennes ; le DON et la fumonisine B1 ont été identifiés parmi les substances prioritaires pour des projets de recherche [ 12 ].
Dans un contexte de changement climatique, les experts estiment que la préoccupation sanitaire liée aux mycotoxines va augmenter [ 13 ]. Compte tenu de l’impact des maladies fongiques sur le végétal et de la toxicité de certaines mycotoxines chez l’animal et chez l’Homme, une approche One Health apparaît indispensable pour réduire efficacement les risques de contaminations par les mycotoxines [ 14 ].