L’incidence des infections humaines à Clostridioides difficile augmente en Europe, aux Etats-Unis, au Canada et en Australie. Quels sont les facteurs de risque liés à l’augmentation du nombre de cas d’infections à C. difficile au niveau communautaire? Ce Point Sur synthétise les éléments disponibles et les hypothèses avancées sur ce danger qui nécessite une  approche One Health. 

C. difficile

Clostridium difficile, reclassifiée en 2016 en Clostridioides difficile [1], est la première cause de diarrhées infectieuses  nosocomiales chez les adultes. C. difficile est un entéropathogène toxinogène responsable de 15 % à 25 % des diarrhées post-antibiotiques et de presque tous les cas de colite pseudomembraneuse. Depuis les années 2000, l’épidémiologie des infections à C. difficile a évolué. Bien qu'autrefois considérée comme exclusivement nosocomiale, de plus en plus d’études montrent une augmentation du nombre d’infections à C. difficile d’origine communautaire (c’est-à-dire non acquise dans un établissement de santé) et non associées aux facteurs de risques connus et décrits jusque-là (personnes âgées, antécédents d’antibiothérapie, comorbidités, etc.). Les sources potentielles de contamination à l’origine de ces infections à C. difficile communautaires sont nombreuses. C. difficile est en effet un germe ubiquitaire que l’on retrouve dans l’environnement (sol, compost, eau) et dans le tractus intestinal de nombreux animaux, notamment les chevaux, les bovins, les porcs, les moutons, les volailles. Les contacts inter-humains sont également une voie de transmission. Aucun cas d’infection à C. difficile associé directement à une origine alimentaire n’a été décrit à ce jour dans la littérature mais cette bactérie a été isolée dans les aliments, principalement la viande et aussi, dans une moindre mesure, les fruits de mer, les légumes verts à feuilles, les tubercules (pommes de terre) et le lait [2] [3]. 

La capacité de sporulation de C. difficile lui permet de résister à des conditions de milieu défavorables. Sa présence dans les produits alimentaires pourrait être liée à la contamination des animaux ou des matières premières, à un transfert de contamination par contact, à la production de spores lors de la transformation des aliments ou lors de la manipulation des aliments [4]. La germination des spores de C. difficile et la croissance végétative pourraient se produire dans les aliments cuits, s’ils sont maintenus à des températures situées entre 12 °C et 52 °C [5] [6], comme cela a été observé pour C. perfringens. La réfrigération pendant une semaine ou la congélation pendant douze semaines n'affectent pas la survie des spores de C. difficile dans le bœuf haché [4]. Le rapport d’expertise de l’Anses relatif à la hiérarchisation des dangers biologiques et chimiques dans les aliments [6] précise que tous les aliments hydratés, peu acides, les plats cuisinés à base de viande maintenus dans des  conditions de conservation inadaptées, les végétaux crus (légumes, fruits, herbes et épices, jus, etc.) et les mollusques bivalves sont capables de produire des conditions favorables à la croissance de C. difficile. Il reste cependant à déterminer si les spores et/ou les formes végétatives éventuellement présentes dans les aliments peuvent aboutir à une infection humaine, asymptomatique ou symptomatique.

Il existe une grande diversité de souches de C. difficile, la méthode de référence pour le typage des souches est la PCR-ribotypage. Certains PCR-ribotypes (RT), par exemple, RT017, RT018, RT023, RT027, RT078, RT126, RT0244 sont associés à une plus grande virulence  chez l’homme [7]. Au cours des années 2000, les souches appartenant au RT027 ont été responsables d’épidémies de formes sévères associées à une forte mortalité. L’hypervirulence de ces souches a été attribuée à une meilleure capacité de sporulation et de surproduction de toxines. Les toxines A et B (TcdA et TcdB) et la toxine binaire CDT sont considérées comme les principaux facteurs de virulence de C. difficile. Plusieurs RT responsables d’infections chez l’Homme ont été identifiés dans les aliments, les plus fréquents sont : RT001, RT002, RT018, RT014, RT015, RT106 et RT 0126 [2]. Les ribotypes RT017, 027 et 078, couramment isolés en Europe chez les patients atteints d’infection à C. difficile (ICD), ont été par ailleurs caractérisés dans les produits alimentaires et chez les animaux de rente [4]. L’analyse phylogénétique des génomes entiers de C. difficile RT078 isolés d’hommes et d’animaux suggère une possible transmission zoonotique du pathogène [8].

Dans les aliments, la plupart des études à travers le monde rapportent que le taux de contamination par C. difficile est de l’ordre de 20%. Cette prévalence peut atteindre 42% en Amérique du Nord alors qu’en Europe, elle est inférieure à 8% [4]. La variation interrégionale de la prévalence est difficile à évaluer avec certitude car il n’existe pas de méthode standardisée pour la détection de C. difficile. Cependant, une méta-analyse récente [3] a mis en évidence une hétérogénéité des niveaux de contamination alimentaire à travers le monde et ceci indépendamment des méthodes d’identification utilisées: le niveau de contamination alimentaire est plus élevé sous les tropiques. Cependant, cette forte contamination alimentaire sous les tropiques n’est pas corrélée à l’incidence chez l’Homme, qui elle est plus élevée dans les régions tempérées. L’hypothèse serait que les microbiotes environnementaux et intestinaux, plus riches dans les zones tropicales, pourraient protéger contre les infections à C. difficile [3]. La réponse immunitaire de l’hôte est aussi un facteur primordial à prendre en compte pour lutter contre ces infections. Malgré ces niveaux parfois élevés de contamination par C. difficile dans les aliments, aucune preuve concluante ne permet d’affirmer que les spores de C. difficile ont la capacité de germer dans les matrices alimentaires [9] et aucune étude n’a permis de démontrer formellement que la présence de C. difficile dans les produits alimentaires présente un risque pour le consommateur.

One HealthExaminer les ICD en étudiant la manière dont les sources pourraient conduire au transfert de C. difficile entre les animaux et l’Homme est primordial [10]. La détection et l’isolement de C. difficile dans les aliments associés à des cas de toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) serait un argument fort pour établir l’existence d’un risque potentiel d’ICD d’origine alimentaire. A ce jour, C. difficile n’est pas recherché en première intention dans les aliments suspectés d’être à l’origine d’une infection humaine ou d’une TIAC. Par ailleurs, des méthodes de détection standardisées et une comparaison fine (WGS) des souches isolées chez l’Homme, chez les animaux et dans les aliments permettraient de mieux définir la dynamique de circulation des souches dans le temps et dans l’espace et d’améliorer la surveillance de cet agent pathogène à l’échelle mondiale [11]. Les ICD constituent un phénomène complexe impliquant les caractéristiques intrinsèques du pathogène, l’hôte, les facteurs anthropomorphiques et environnementaux. La compréhension de la dynamique de transmission des ICD depuis les élevages vers l’Homme est encore loin d'être parfaite [10]. La démarche « One Health » s’applique particulièrement bien à la problématique présentée ici,  seule une approche incluant l’étude de C. difficile au niveau de l’environnement, de l’Homme et des animaux permettra de mieux comprendre les mécanismes à l’origine de cette émergence et une meilleure maîtrise des ICD.