En moins de dix ans, les préoccupations des consommateurs français ont profondément évolué. En particulier, l’inquiétude liée à l’environnement et aux risques sanitaires a augmenté : 74 % des Français pensent, en 2019, qu’il existe des risques alimentaires contre 55 % en 1995 (Source Crédoc). Cette inquiétude participe au développement de « nouveaux modes de consommation ». Cependant, entre attentes du consommateur et modifications réelles des comportements alimentaires, l’expression « nouveaux modes de consommation » englobe différentes tendances. Ce Point-sur présente les principaux nouveaux modes de consommation, les outils pour surveiller l’évolution de l’alimentation et les enjeux en termes de surveillance des dangers biologiques et chimiques.
Des outils pour surveiller l’évolution qualitative et quantitative de l’alimentation en France
Différentes études et enquêtes sont mises en œuvre pour étudier les tendances de consommation alimentaire en France. On peut en particulier citer :
- L’étude Individuelle Nationale des Consommations Alimentaires (INCA), conduite par l’Anses, qui consiste à recueillir des données sur les habitudes de consommation et d’activités physiques d’un échantillon représentatif des consommateurs [ 1 ]. La troisième édition (INCA 3) a été réalisée en 2014-2015. Une nouvelle édition est programmée pour 2026 dans le Programme National pour l’alimentation et la nutrition (PNAN).
- Le dispositif de nutrivigilance, confié à l’Anses, qui a pour vocation d’améliorer la sécurité du consommateur en identifiant rapidement d’éventuels effets indésirables liés à la consommation, entre autres, des nouveaux aliments [ 2 ]. Cependant, les signalements portent le plus souvent sur des aspects nutritionnels et non pas sur la présence de potentiels contaminants biologiques ou chimiques.
- L’enquête Esteban, menée par Santé publique France, qui permet de recueillir des données sur l’exposition des consommateurs français à certaines substances de l’environnement, de mieux connaître leur alimentation et leur activité physique et de mesurer l’importance de certaines maladies chroniques[ 3]. Sa première édition a été réalisée entre 2014 et 2016 et il est prévu qu’elle soit répétée tous les sept ans. Cependant, peu d’informations portent sur les nouvelles tendances de consommation à proprement parler.
- L’enquête « comportements et consommations alimentaires en France » (CCAF) du Crédoc [ 4 ]. Elle aborde toutes les thématiques du processus alimentaire et apporte des données sur l’évolution récente des comportements. Dix éditions ont été réalisées depuis 1988.
De nouveaux aliments dans nos assiettes
Entre mondialisation, accélération des technologies alimentaires, volonté de diversifier les ressources protéiques, croissance mondiale, changement climatique, alimentation durable et demande croissante de diversité alimentaire, l’introduction de nouveaux aliments sur le marché français est de plus en plus fréquente. Selon le règlement européen UE 2015/2283, dit Règlement « Novel Food », sont considérés « nouveaux », tous les aliments ou ingrédients qui n’étaient pas consommés à un degré significatif au sein de l’Union européenne avant 1997 [ 5 ]. Parmi eux figurent les graines de chia, les aliments à base d’algues, les insectes ou encore les substituts de viande [ 6 ]. A titre d’exemple, la consommation d’insectes, très répandue dans certaines parties du monde, est une pratique en pleine croissance. En France, un état des lieux des connaissances sur les risques sanitaires potentiellement liés à cette consommation a été publié par l’Anses en 2015 [ 7 ]. L’Efsa a publié en janvier 2021 la première évaluation d’une proposition de nouvel aliment à base d’insecte : la larve de tenebrio molitor [ 8 ].
Également encadrée, pour tout ou partie, par la réglementation Novel Food, la consommation d’algues est en pleine expansion en lien, notamment, avec la demande grandissante d’apport alternatif en protéines et le développement de la restauration japonaise. Certaines algues ont tendance à se charger en éléments traces métalliques, tels le cadmium, le plomb ou l’arsenic et leur consommation en quantité importante pourrait représenter un risque pour le consommateur [ 9 ].
Dans la recherche d’alternative aux protéines animales, on pourra également citer la consommation croissante de substituts de viande végétariens, fabriqués le plus souvent à partir de mélanges de protéines de soja, de pois et de levure. Ces substituts ne sont pas considérés comme des nouveaux aliments mais, du fait de leur consommation en forte croissance, une attention particulière doit être portée à leur composition et à leurs contaminations potentielles. Le soja est par exemple une source importante d’isoflavones, des phytœstrogènes perturbateurs endocriniens.
De la même façon, l’arrivée sur le marché des viandes dites cultivées (viande de culture ou viande artificielle) est à anticiper. Elles seront soumises à la réglementation Novel Food et à de probables évaluations de risques dans les prochaines années.
Enfin, la consommation de fruits secs et graines (germées ou non) comme les graines de Chia (Salvia hispanica), le sésame ou les graines de fenugrec germées a été multipliée par 2.5 entre 2013 et 2019 (source Crédoc). Certaines graines (ex. Chia), considérées comme nouvel aliment en vertu de la réglementation européenne, n’ont pas été associées à ce jour à un risque pour l’Homme. D’autres ont été impliquées dans des épisodes de contamination biologique (infections à STEC suite à la consommation de graines germées de fenugrec en 2011) et chimiques (retrait /rappel en 2020 et 2021 de graines de sésame et produits dérivés suite à des contaminations à l’oxyde d’éthylène).
… et de nouvelles pratiques de consommation
On entend par pratique de consommation les habitudes d’achats alimentaires mais aussi les modes de préparation et de conservation des aliments. Une pratique peut être nouvelle soit parce qu’elle l’est vraiment (par exemple la cuisson basse-température), soit parce qu’il s’agit d’une pratique ancienne prenant ou reprenant de l’importance (par exemple la végétalisation).
Le consommateur n’a de cesse de faire évoluer ses modalités d’achats. En 15 ans, et particulièrement en France, l’évolution de la perception du risque liée aux préoccupations à propos des contaminants chimiques et l’environnement [ 10 ] a contribué à des changements profonds de modes d’achats comme l’achat en vrac, le locavorisme voire l’autoconsommation. Le consommateur favorise également les circuits courts et les petits commerces. Très récemment, liées notamment à la crise sanitaire provoquée par le coronavirus, la vente à emporter et la livraison de repas à domicile ont connu une forte croissance. À ces changements d’habitudes d’achats viennent s’ajouter de profondes évolutions en termes de mode de consommation à proprement parler : D’après une étude menée en 2018 par le Crédoc dans quatre pays (Espagne, Royaume-Uni, Allemagne et France), ce sont 5,6 % des individus qui sont végétariens, incluant les végétaliens et les végans [ 11 ], et la part de Français se considérant flexitariens est estimée à 28 %. Selon l’enquête INCA 3 (2014-2015), 1,8 % des adultes français de 18 à 79 ans déclaraient suivre un régime végétarien excluant au minimum la viande, contre 0,5 % lors de l’étude INCA2 (2006-2007). Selon la même enquête, l’intolérance alimentaire au gluten concernait 11 % des adultes ayant au moins une intolérance alimentaire (soit 3,9 % de la population adulte).
Le crudivorisme est une pratique alimentaire en constante progression depuis quelques années. La consommation de denrées d’origine animale crues concerne plus de 80 % des individus âgés de 15 à 79 ans, d’après INCA 3. En particulier, depuis 2006, le taux de consommateurs de poissons crus a doublé, et l’Île-de-France présente les taux de consommateurs de poissons crus les plus élevés en France (68 % des adolescents et 48 % des adultes). Le BuSCA relaie très régulièrement des informations sur des événements se rapportant à des contaminations, notamment biologiques (parasites, STEC, Salmonelles, Campylobacter, virus de l’encéphalite à tique), liées à la consommation d’aliments crus ou insuffisamment cuits (poisson, viande, lait, certains végétaux). L’absence de cuisson ou la cuisson insuffisante est reconnue comme pratique à risque vis-à-vis de plusieurs contaminants biologiques et certains aliments [ 12 ]. Plus récemment, certaines autres pratiques de cuisson comme la cuisson basse température, ou encore la cuisson au four micro-onde, ont gagné en popularité et sont mises en œuvre par le consommateur à son domicile. Enfin, les méthodes de conservation des aliments et des préparations alimentaires ont récemment évolué, en terme de modalités de conservation chez le consommateur mais aussi de matériaux d’emballage (recyclés, parfois même comestibles).
De nouveaux enjeux en termes de surveillance sanitaire des aliments
Les risques potentiels liés aux nouveaux aliments et aux nouveaux comportements alimentaires sont peu évalués. Il peut s’agir de contamination chimique (métaux lourds, matériaux en contact avec les denrées alimentaires, etc.) ou biologique (liée à la rupture de la chaîne du froid, une contamination croisée, l’hygiène des aliments). Par ailleurs, le fort développement de certaines pratiques, connues comme étant à risque, augmente probablement l’exposition à certains contaminants, notamment chimiques. Une étude récente d’INRAE sur la priorisation des dangers biologiques et chimiques liés à certains modes de consommation émergents concluait que la consommation de noix pourrait représenter l’habitude alimentaire émergente avec le niveau de risque le plus élevé, lié à l’exposition aux Aflatoxines B1, des mycotoxines cancérogènes génotoxiques [ 13 ].
Aujourd’hui, la DGCCRF et la DGAL assurent le contrôle et la surveillance, au travers de leurs plans de surveillance et de contrôle (PSPC), des denrées végétales et animales aux différents stades de la chaîne alimentaire et adaptent, le cas échéant, les matrices surveillées et contrôlées (contrôle portant sur les graines germées au stade de la production et de la distribution suite à la crise STEC/graines de fenugrec en 2011 ; plan de surveillance 2017 du parasitisme par les Anisakidae dans les poissons à la distribution). Les acteurs de l’évaluation de risque lié à l’alimentation humaine et de la surveillance des pratiques de consommation semblent s’accorder sur le manque de données de qualité disponibles et la nécessité d’intégrer les changements de comportements alimentaires dans les différents processus de surveillance publiques et privées, de manière à alimenter l’évaluation de risque et éclairer les gestionnaires du risque.