Teneurs maximales de contaminants, valeurs toxicologiques de référence, doses critiques… Ceux de nos lecteurs qui sont plus familiers des dangers biologiques ont parfois été déroutés par ces termes que l’on retrouve dans les brèves consacrées aux contaminations chimiques. Ce point a pour objectif de vous donner quelques repères.
Les termes qui suivent portent sur deux notions distinctes : l’exposition et le niveau de contamination. Pour rappel, le niveau de contamination correspond à la concentration d’une substance dans une matrice. L’exposition est la quantité de cette substance absorbée par un individu pendant un intervalle de temps donné, l’exposition est donc le produit du niveau de contamination par la consommation.
Des indices toxicologiques d’exposition pour évaluer le risque sanitaire
Les valeurs toxicologiques de référence (VTR) sont des “valeurs définissant le niveau d’une substance particulière auquel une personne peut être exposée sans danger pendant une période spécifiée” [1]. Elles sont spécifiques d’une voie, d’un effet et d’une durée d’exposition. C’est le plus souvent sur la vie entière qu’est estimée cette exposition, mais certaines VTR peuvent être déterminées pour des expositions aiguës ou subchroniques.
Les VTR sont élaborées par des autorités sanitaires internationales (comme l’OMS), européennes (comme l’Efsa ou l’EMA), mais aussi par des structures nationales comme l’Anses ou l’Agence de la protection de l’environnement des États-Unis (US EPA). Selon le type d’effet retenu et l’organisme ayant élaboré la VTR, son appellation diffère.
Deux catégories d’effets sont distinguées : les effets à seuil de dose et les effets sans seuil de dose. Les effets à seuil ne surviennent pas en-dessous d’un seuil d’exposition. Au-delà de ce seuil, leur intensité augmente avec la dose. Les effets sans seuil, quant à eux, surviennent sans seuil minimal et leurs probabilités de survenue augmentent avec les doses. Les premiers regroupent principalement les effets systémiques (ainsi que les effets cancérogènes non génotoxiques directs, pour les agences européennes) tandis que les seconds correspondent essentiellement aux effets cancérogènes (parmi ceux-ci, uniquement les génotoxiques directs, pour les agences européennes).
Parmi les VTR d’effets à seuil peuvent être citées les “Reference doses” (RfD) de l’US EPA, les “Minimal risk levels” (MRL) de l’ATSDR (agence US pour les substances toxiques), les “Acceptable daily intake” (ADI) ou “Tolerable Daily Intake” (TDI) de l’OMS, du RIVM (agence néerlandaise), d’Health Canada, de l’Efsa ou encore de l’EMA, ainsi que les “Dose Journalière Acceptable” (DJA) et “Dose Journalière Tolérable (DJT)” de l’Anses. Les ADI/DJA sont établies pour les résidus ainsi que les additifs, et les TDI/DJT pour les contaminants [2]. L’unité de ces VTR est généralement en milligrammes (ou microgrammes) par kg de poids corporel et par jour (mg/kg pc/j ou µg/kg pc/j). Elles sont parfois exprimées en valeurs hebdomadaires ou mensuelles lorsque les substances sont bioaccumulables.
La VTR des effets sans seuil correspond à un Excès de Risque Unitaire (ERU), désignant une probabilité supplémentaire de développer un cancer en étant exposé sur une durée vie entière à une unité de dose de la substance. L’ERU s’exprime en unité inverse de celle d’une dose, c’est-à-dire en (mg/kg pc/j)-1 ou (µg/kg pc/j)-1 [3]. L’US EPA a ainsi par exemple fixé en 2017 un ERU de 1 (mg/kg pc/j)-1 pour l’exposition orale chronique au Benzo(a)pyrène, indiquant donc qu’une exposition à 0,01 µg/kg pc/j (soit 10-5 mg/kg pc/j) durant la vie entière est associée à l’augmentation de l’incidence de cancer de 1 cas pour 100 000 personnes (10-5).
Détermination des valeurs toxicologiques de référence
Afin d’élaborer une VTR, une analyse critique de la bibliographie est réalisée. À cette fin, des guides méthodologiques ont été rédigés par différentes agences [4, 5]. Les études toxicologiques et épidémiologiques les plus pertinentes (en termes d’espèce étudiée, de voie, de durée, de dose d’administration...) sont considérées. Parmi celles-ci, l’effet indésirable survenant à la plus petite dose, dite dose critique, est retenu comme effet critique. Il existe trois types de doses critiques :
- le LOAEL (Lowest Observed Adverse Effect Level), valeur expérimentale correspondant à la plus faible dose testée entraînant un effet significativement différent de l’effet à dose nulle ;
- le NOAEL (No Observed Adverse Effect Level), valeur expérimentale correspondant à la plus forte dose testée n’entraînant pas d’effet indésirable ; Il s’agit pratiquement de la dose testée immédiatement inférieure à la LOAEL ;
- la BMD (Benchmark Dose) qui est une « dose modélisée produisant un effet mesurable correspondant à un niveau de réponse donné par rapport à un groupe témoin » (Anses, 2015). La BMDL (Benchmark Dose Lower Bound), limite inférieure de l’intervalle de confiance de la BMD, est souvent utilisée. La BMD (ou la BMDL) est généralement préférée aux NOAEL et LOAEL car elle est moins dépendante des conditions expérimentales.
Pour les effets à seuil, des facteurs d’incertitude sont affectés à la dose critique déterminée, en tenant compte de la variabilité inter- et intra-individuelle, de la robustesse des études, des différences de durée d’exposition, de l’utilisation de l’une ou l’autre des valeurs critiques… La VTR qui en résulte est le rapport de la dose critique par le produit de ces facteurs, celui-ci étant généralement de l’ordre de 100 à 1000 [3]. Des VTR provisoires, telles que les doses journalières tolérables provisoires (DJTP) peuvent être proposées si la confiance dans les données est limitée.
Pour construire les VTR des effets sans seuil, diverses méthodes existent. Une de celles-ci, utilisée notamment par l’Anses et l’USA EPA, consiste à extrapoler à de faibles doses la BMDL modélisée en admettant l’hypothèse qu’il existe une relation linéaire entre l’exposition et la probabilité de l’effet nocif aux faibles doses, permettant la détermination de l’ERU.
Caractérisation du risque
La caractérisation du risque sanitaire se fait en comparant l’exposition de l’individu à la VTR déterminée. La notion de marges d’exposition (« margin of exposure », MOE) est pour ce faire de plus en plus utilisée. Ces MOE correspondent au rapport entre la dose critique (souvent la BMDL, ou le NOAEL) et l’estimation de l’exposition journalière. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une valeur permettant une évaluation quantitative du risque sanitaire, mais elle permet de hiérarchiser les risques. Ce terme est très utilisé pour les substances génotoxiques, puisque ces substances ne sont, par définition, pas dénuées de risque même si l’exposition est faible. Néanmoins, les MOE peuvent aussi être calculées pour des effets à seuils. Pour ceux-ci, lorsque l’évaluation est réalisée à partir d’un NOAEL, une MOE de 100 est généralement estimée acceptable tandis qu’elle est estimée acceptable à 10 000 pour les effets génotoxiques [3, 6].
Des valeurs de gestion réglementant la concentration des substances dans les denrées
A la différence des résidus, terme réservé aux produits phytosanitaires, médicaments vétérinaires et substances non autorisées, les contaminants sont des substances dont la présence dans les aliments, et aliments pour animaux, ne résulte pas d’une introduction intentionnelle mais d’une contamination involontaire. Cette contamination peut être environnementale ou se produire lors d’une ou plusieurs étapes de la chaîne alimentaire [7].
Pour les contaminants, les quantités maximales autorisées dans les aliments destinés à l’alimentation humaine ou animale sont des teneurs maximales(TM) (ou limites maximales, ou encore doses maximales). Ces normes sont exprimées en µg (ou mg)/kg. Elles sont l’équivalent des limites maximales de résidus (LMR) des produits phytosanitaires et des médicaments vétérinaires [1].
En Europe, ces valeurs limites réglementaires sont fixées par le gestionnaire du risque, la DG Santé de la Commission européenne, sur la base de recommandations de l’évaluateur de risque (l’Efsa, ou l’EMA pour les médicaments vétérinaires). Le dépassement de ces seuils entraîne le retrait des denrées concernées. Au niveau international, ces normes sont agrégées dans le Codex Alimentarius, issu d’un Programme mixte de l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) [8].
Afin de fixer les LMR, le métabolisme de la substance est étudié afin d’identifier les composés toxicologiquement pertinents pour chaque tissu cible, qu’il s’agisse du composé parent ou d’un ou plusieurs de ses métabolites. Pour les médicaments vétérinaires, les LMR sont ensuite établies en tenant compte de la répartition des résidus dans les tissus animaux ainsi que de la quantité d’aliments d’origine animale consommés sur la base d’un panier moyen : la quantité totale de résidus présents dans ce panier ne doit pas dépasser la DJA [9]. Pour les produits phytosanitaires, les LMR sont obtenues en déterminant, à partir d’essais au champ et d’études de l’alimentation animale, les quantités de résidus persistant dans chaque type de denrées après l’utilisation de la substance selon des règles de bonnes pratiques agricoles. L’apport journalier maximum théorique (AJMT), exposition théorique calculée à partir d’une estimation des consommations alimentaires à l’échelle nationale et des LMR, est ensuite confrontée à la DJA. Si l’AJMT dépasse la DJA, le calcul de l’exposition théorique est affiné et au besoin, les pratiques agricoles et les usages sont modifiés ou supprimés [10].
Les teneurs maximales en contaminants sont fixées lorsqu’une évaluation des risques a mis en évidence des risques sanitaires pour la population. Elles sont établies uniquement pour les aliments dont le niveau de contamination est suffisamment important pour affecter l’exposition totale du consommateur, en ciblant les valeurs les plus protectrices dans la limite de ce qui est raisonnablement possible [11].