BuSCA n°6 - 19 décembre 2019

 

 Éditorial 

 

Chers lecteurs,

Pour ce dernier BuSCA de l’année 2019, nous vous proposons en plus de nos brèves et bilans un focus sur les épisodes nord-américains de contamination des salades vertes par E. coli O157:H7, complété d’une réflexion sur notre contexte de production de ces légumes-feuilles.

Le comité de rédaction vous souhaite de très belles fêtes de fin d’année et vous donne rendez-vous le 3 Janvier 2020 pour un nouveau BuSCA !

Bonne lecture.

 

 

 Les brèves 

 

Dangers biologiques

 

Suède, TIAC, Salmonella Typhimurium ST3478, tomates

Suite d’un épisode de salmonellose en Suède rapporté dans le BuSCA n°1. Des tomates cerises ont été confirmées comme la source, après enquête épidémiologique. Les 82 cas sont apparus entre le 28 août et le 29 octobre 2019. Le lien entre les cas avait été confirmé par Whole Genome Sequencing (WGS). La souche était H2S négatif, ce qui est un phénotype rare. Ces tomates cerises biologiques étaient produites dans un pays de l’Union Européenne (ce pays n’est pas précisé). Aucune alerte n’est retrouvée dans le réseau d’alerte de l’UE (RASFF).

Danemark, TIAC, Salmonella Typhimurium, saucisses de porc

Les résultats finaux de l’investigation d’un épisode à Salmonella Typhimurium survenu en novembre 2018 au Danemark ont été publiés. Les 49 cas étaient répartis dans le pays. La souche a été caractérisée par séquençage multilocus à partir du core genome (cg-MLST). La source a été identifiée par enquête épidémiologique. Il s’agissait de saucisses traditionnelles danoises (medister). Les cas étaient apparus après consommation de l’aliment cru ou peu cuit. La souche n’a pas été retrouvée dans le produit.

Norvège, TIAC, Listeria monocytogenes , truite fermentée

Les autorités norvégiennes ont rappelé un lot de truites fermentées (rakfish) suite à des cas de listériose (nombre de cas non précisé). Listeria monocytogenes a été isolée en très grande quantité dans le produit (plusieurs milliers de ufc/g). Le rakfish est un produit à risque car Listeria monocytogenes peut croître pendant la fermentation. (FSN, autorités).

 

Suède, TIAC, Cryptosporidies, épinard

Plus de 300 cas de cryptosporidiose ont été rapportés en Suède en octobre et novembre 2019. Deux sous-types du parasite (A et B) ont été retrouvés. L’enquête épidémiologique a permis d’associer les infections par le type A (Cryptosporidium parvum) à la consommation de jus de légumes et de fruits frais contenant de l’épinard (Promed). L’eau est le principal véhicule de la contamination par les cryptosporidies (Anses).

USA, TIAC, Salmonella Javiana, salade de fruits

Aux USA, un épisode à Salmonella Javiana survenu en novembre est en cours d’investigation. Le lien entre 11 cas, dont 7 hospitalisations, a été établi notamment par WGS. L’enquête épidémiologique a permis de suspecter des salades de fruits crus prêtes à consommer distribuées à des collectivités (FDA).

Canada et USA (cas) & USA (source), TIAC, E. coli O157:H7, salade préparée

Les autorités canadiennes ont rapporté, le 11 décembre 2019, 24 cas confirmés d’infection à E. coli O157:H7. Les cas sont apparus entre le 5 et le 23 novembre. La souche est semblable à celle détectée chez huit autres cas aux USA. L’enquête épidémiologique a permis de déterminer que la source probable est un mélange de salades coupées. Ce mélange contient de la laitue provenant du même producteur que celle mise en cause dans l’épisode décrit dans le point sur de ce BuSCA. Cependant les souches d’E. coli O157:H7 de ces deux épisodes diffèrent, selon le CDC.

 

 

Dangers Chimiques 

 

USA, surveillance, PFAS, engrais

Dans la région de Boston, une importante usine publique transforme depuis 30 ans les boues de stations d’épuration en un fertilisant organique largement utilisé dans la région. Des analyses sur les fertilisants ont été réalisées en mars 2019 pour tester la concentration de trois substances perfluoroalkylées (PFAS), parmi les milliers de PFAS existants. La concentration retrouvée est de 18 µg/kg. Dans l’Etat voisin du Maine, une exploitation bovine laitière où des boues provenant d’une autre usine avaient été utilisées pendant des années a dû cesser sa production il y a deux ans suite à la détection de hauts niveaux de PFAS dans le lait. Aujourd’hui, des concentrations sanguines 20 fois supérieures à la moyenne nationale sont détectées chez les propriétaires de cette exploitation. 

Allemagne, surveillance, formaldéhyde et mélamine, vaisselle en bambou

Le BfR met en garde contre les contacts entre des liquides chauds et de la vaisselle en « bambou ». Les objets dits « en bambou » sont constitués de résine et de fibres de bambou. Dans de nombreux cas, ce contact engendre la libération accrue de formaldéhyde et de mélamine constitutives des résines. Cette libération est plus importante dans les produits en « bambou » que dans les tasses en résine de mélamine classique.

 

 

 Bilans 

 

Rapport 2018 de l’EFSA et de l’ECDC sur les zoonoses

En 2018, la campylobactériose était la zoonose alimentaire la plus fréquente dans l’UE (246 571 cas). La salmonellose était la première en nombre d’épisodes (158, soit 31% des épisodes). La listériose était première en taux d’hospitalisation (97%), létalité (15%) et nombre de morts (229). Les infections à STEC avaient la plus forte progression depuis 2017 (+39%). Pour rappel : la campylobactériose est à déclaration obligatoire dans 21 pays mais pas en France. Le taux de déclaration en France est estimé à 20%.

Données de surveillance du syndrome hémolytique et urémique en 2018 en France

154 cas de SHU pédiatriques autochtones ont été notifiés par 33 centres hospitaliers. L’incidence annuelle du SHU pédiatrique était de 1,33 cas/100 000 personnes-années chez les enfants de moins de 15 ans, légèrement plus faible qu’en 2017. Seize cas (10%) ont été reliés à des épisodes épidémiques (trois clusters associés à la consommation de reblochon au lait cru).

Rapport d’audit DG(SANTE) 2019-6886 sur le plan national tchèque de contrôle de Salmonella dans les filières volailles

Rapport d’audit DG(SANTE) 2019-6673 sur les contrôles officiels hongrois relatifs à la sécurité microbiologique des denrées alimentaires d’origine non animale (suite à une épidémie de listériose avec des légumes congelés comme source).

 

 Le point sur : la contamination des salades vertes par E. coli O157:H7 

 

 

Aux USA, des épidémies à répétition depuis plusieurs années

Fin septembre 2019, une épidémie impliquant Escherichia coli O157:H7 s’est déclarée aux USA. Au 4 décembre 2019, le CDC comptabilisait 102 cas, dont 58 hospitalisations et 10 syndromes hémolytiques et urémiques (SHU). Aucun décès n’est à déplorer. Les investigations ont permis de déterminer que la source était de la laitue romaine produite en Californie, à Salinas. Un rappel national a été lancé le 21 novembre [1]. Cet épisode est le cinquième qui frappe les laitues américaines depuis 3 ans. En 2017, 76 cas et deux morts par SHU ont été rapportés ; en 2018, deux épisodes indépendants ont totalisé 309 cas (dont certains au Canada), dont 31 SHU et 5 décès; en 2019, un épisode, différent de celui en cours, a été à l’origine de 23 cas [2].

 

Laitue romaine

Laitue iceberg

 

Des sources de contamination identifiées

Parmi les différents dangers microbiologiques pouvant contaminer les denrées alimentaires d'origine végétale, certains, comme Listeria, peuvent provenir d’étapes postérieures à la récolte. Ce n’est pas le cas d’E. coli O157:H7, qui est un contaminant d’origine fécale pouvant contaminer les produits végétaux au champ. Ainsi, la souche responsable de la plus grande épidémie de 2018 a pu être tracée jusqu’à un élevage bovin [3] et la souche du second épisode de 2018 a été retrouvée dans les sédiments d’un réservoir d’eau du producteur touché [4].

 

L’eau d’irrigation est fréquemment citée comme véhicule de contamination, en particulier en cas d’aspersion. Le risque est maximal avec les arrosages qui précédent directement la récolte, pratiqués pour optimiser l’aspect de la salade. Les engrais organiques, les déjections animales, la terre, les mouches sont également des véhicules possibles. La poussière en suspension présente un risque fort lorsque les sols sont secs et qu’elle est soulevée, par exemple, par des troupeaux pouvant rassembler plusieurs dizaines de milliers de bovins [5].

 

Parmi les différents légumes-feuilles consommés aux USA (bette, blette, épinard, salade, chou, oseille), la laitue romaine est la plus souvent mise en cause. Ceci est dû d’une part à l’importance de sa consommation, et d’autre part à sa forme ouverte qui en fait un réceptacle de contamination. A contrario, le parage à la récolte de la laitue iceberg réduit le risque de contamination de la partie consommée [6].

 

 

Le plan d’action des producteurs et autorités américains

La production de légumes-feuilles aux USA est concentrée en Californie et Arizona. Au regard de la multiplicité des épisodes de contamination par la souche E. coli O157:H7, la filière de production a élaboré un programme de certification appelé LGMA (California Leafy Green Products Handler Marketing Agreement) [7]. Il s’appuie sur un cahier des charges dont l’application est contrôlée par des audits gouvernementaux. Les risques liés à l’environnement de l’exploitation agricole, l’eau et son usage, les sols et les amendements sont ciblés. Un autocontrôle de l’eau doit être réalisé au moins une fois par saison pour les coliformes et E. coli. Si la qualité de l’eau est insuffisante, E. coli O157:H7 et Salmonella sont recherchés dans les végétaux. Par ailleurs, l’autorité compétente (FDA) a récemment annoncé la mise en place d’un plan annuel de contrôle bactériologique des laitues romaines en production portant sur 270 échantillons. Les dangers recherchés seront les E. coli pathogènes et Salmonella spp [8].

 

La France est-elle concernée ?

En France et en Europe, aucun épisode semblable à ceux observés aux USA n’a été rapporté. Ceci est peut-être dû à des différences dans les systèmes de production. Par exemple, il n’y a pas en Europe de feedlots (parcs d’engraissement) rassemblant plusieurs dizaines de milliers de têtes de bétail et proches des zones de maraîchage. Cependant d’autres alertes sanitaires portant sur des pathogènes présents sur des légumes-feuilles ont été enregistrées. Le risque lors de la consommation de légumes crus ne peut être exclu.

 

Suite à la crise de 2011 impliquant des graines germées contaminées par E. coli (O104:H4), une réglementation européenne spécifique à ce type de produit a été adoptée en 2013, renforçant les autocontrôles sur les lots de graines à germer et les lots de germes produits par des professionnels agréés. La Commission européenne a ensuite mandaté l'EFSA pour conduire des évaluations de risque sur les fruits rouges, les salades, le melon et les légumes-racines. S’appuyant sur les conclusions de ces évaluations, le Guide européen de Bonnes Pratiques d’Hygiène 2017C 163/01 a été publié [9]. Ce guide décrit les bonnes pratiques qui devraient être mises en œuvre pour réduire le risque microbiologique sur les fruits et légumes frais : environnement des parcelles, usage d'eau propre en irrigation, usage contrôlé des intrants organiques, pratique d'hygiène à la récolte, au conditionnement et au lavage.

 

En France, des inspections sont conduites par les services régionaux du ministère de l’agriculture dans les exploitations agricoles. Au nombre de 500 par an, elles ciblent certaines productions à risque (graines germées, cressicultures, fruits et légumes consommés crus). Ces inspections portent sur le respect des bonnes pratiques agricoles et d'hygiène en production, jusqu'à la mise sur le marché. La réalisation d’analyses d’eau par l’irrigant est vérifiée ; l’eau doit être bactériologiquement conforme. Les inspections soulignent une marge de progression importante. Les inspections ne comportent pas de prélèvements systématiques de végétaux pour analyse microbiologique (au contraire de ce qui est réalisé pour les résidus de pesticides). Après mise sur le marché, la DGCCRF conduit des plans de contrôle de la qualité microbiologique des végétaux ; l’occurrence des contaminations microbiennes de ces matrices est faible.

 

Ce bulletin est rédigé par l’équipe de veille de la Plateforme de surveillance de la chaîne alimentaire. Il n’engage pas les membres de la Plateforme.