BuSCA n°16 - 7 mai 2020

 

Éditorial

 

Chers lecteurs,

Vous trouverez dans ce seizième BuSCA des brèves très diversifiées, tant par la nature des dangers que par celle des matrices, et par la localisation géographique variée des événements et études. Nous avons également choisi de vous proposer dans ce bulletin un éclairage sur les termes régulièrement utilisés dans nos brèves dédiées aux dangers chimiques qui, nous l'espérons, facilitera la lecture aux moins initiés dans ce domaine,

Bonne lecture

 

Dangers biologiques

 

Événement

États-Unis, norovirus, framboises congelées

Une série de 13 épisodes de gastro-entérites aiguës a touché les passagers et membres d’équipage de plusieurs paquebots d’un croisiériste entre septembre et octobre 2019. L’enquête épidémiologique a permis de lier les cas à la consommation de smoothie. Une souche de norovirus de génogroupe II  a été isolée de framboises congelées. La séquence de cette souche était similaire à 97,5 % à celle des cas humains. Ces framboises congelées provenaient d’un lot de dix tonnes d’un fournisseur chinois. Du norovirus de génogroupe I a aussi été isolé d’autres fruits congelés mais il n’était pas associé aux cas. Lien

Suivi

États-Unis, TIAC, E. coli O103, germes de trèfle

Aux USA, l’épisode de cas groupés d’infection à E. coli lié à la consommation de germes de trèfle crus ou peu cuits, initialement observé en Iowa (cf. BuSCA 8) a été clos par le CDC le 22 avril. Au final, 51 cas répartis dans dix  États ont été comptabilisés. Trois personnes ont été hospitalisées. Lien

Bilan

Slovénie, Clostridium difficile, chaîne alimentaire

Depuis 2015, Clostridium difficile est inclus dans le plan slovène de surveillance des aliments. De 2015 à 2017, 434 échantillons de produits carnés, légumes et fruits de mer ont été prélevés au stade de la distribution. Quatre pour cent se sont avérés contaminés ; il s’agissait de viandes et de végétaux crus. Les 18 souches présentaient un grande variabilité génétique (13 ribotypes PCR  différents) et deux tiers étaient toxinogènes. Lien

 

Bilan

Monde,

INFOSAN est un réseau d’information mondial dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments, il est géré conjointement par l’OMS et la FAO. Il est notamment le relai du RASFF quand les alertes dépassent le territoire de l’Europe. Au premier trimestre 2020, 25 alertes concernant un danger biologique ont été prises en charge par INFOSAN. Ces dangers étaient Salmonella spp. [8], Listeria monocytogenes [5], norovirus [3] Escherichia coli productrices de Shiga-toxines [2], Clostridium botulinum [2] Bacillus cereus [2], Cronobacter spp. [1], Shigella sonnei [1] Lien

Étude

Portugal, antibiorésistance, aliments pour chiens

La résistance aux antibiotiques d’entérocoques isolés dans de la nourriture pour chien distribuée au Portugal en 2019 a été caractérisée. Il s’agissait de produits transformés (secs ou humides) ou surgelés crus. Des entérocoques ont été isolés dans 100 % des produits surgelés (n=9), 53 % des secs et 9 % des humides. Tous les produits surgelés crus contenaient au moins un entérocoque mulitrésistant (érythromycine, tétracycline, gentamicine). Sept (sur neuf) étaient résistants au linézolide, un antibiotique de dernière génération. La résistance au linézolide, à l'ampicilline et à la ciprofloxacine n'a été détectée que dans des échantillons crus surgelés. L’article conclut sur un risque potentiel pour la santé publique en particulier suite à des contacts étroits entre les chiens et l’Homme. Lien

 

Information

La Commission Européenne a publié un document “Questions et Réponses” sur le Covid-19 et la sécurité sanitaire des aliments. Il compile les avis émis au niveau des États membres et est destiné aux opérateurs des filières et aux consommateurs. Lien

 

Dangers chimiques 

 

Étude

Chine, éléments traces métalliques, fruits de mer

Neuf éléments traces métalliques, dont le cadmium (Cd), le plomb (Pb) et l’arsenic (As), ont été recherchés dans des coquillages de huit espèces, principalement des mollusques bivalves, provenant des eaux côtières de la région chinoise de Shenzhen. Il a notamment été observé que les huîtres creuses (Crassostrea ariakensis) concentrent l’As et le Cd. Tous échantillons confondus, les concentrations moyennes et au 95e percentile en ces deux éléments étaient, respectivement, de 10,6 et 42,6 mg/kg pour l’arsenic et de 2,1 et 8,97 mg/kg pour le Cd, dépassant donc les valeurs réglementaires fixées en Chine (0,5 mg/kg pour l’arsenic et 2 mg/kg pour le Cd). En Europe, la teneur maximale autorisée en Cd dans les mollusques bivalves est de 1 mg/kg. Pour l’As, il n’y a pas à ce jour de limite maximale réglementaire européenne dans les coquillages. Lien

Étude

Chine, éléments traces métalliques, produits aquatiques

De 2015 à 2017, les concentrations en cinq métaux (Pb, mercure [Hg], Cd, chrome [Cr], As) ont été recherchées dans quatre denrées (poissons, crevettes, crabes, crustacés) provenant de 32 provinces chinoises. Au total 62 000 échantillons ont été testés. L’article propose une cartographie des concentrations par couple contaminant/type de denrée, illustrant une variabilité régionale importante. Globalement, des concentrations plus élevées sont retrouvées dans les produits marins issus du nord (Pb, Hg, Cd) et de l’est (Hg, Cd, As) de la Chine. De plus, des différences sont observées entre les types de denrées. Pour le Cd, par exemple, les concentrations dans les poissons et les crevettes étaient plus faibles que dans les crabes et les fruits de mer. Ceci pourrait être causé par des différences de mécanismes d’assimilation entre les espèces. Lien.

 

 

Point sur les indicateurs d’évaluation et de gestion des contaminants et résidus chimiques 

 

Teneurs maximales de contaminants, valeurs toxicologiques de référence, doses critiques… Ceux de nos lecteurs qui sont plus familiers des dangers biologiques ont parfois été déroutés par ces termes que l’on retrouve dans les brèves consacrées aux contaminations chimiques. Ce point a pour objectif de vous donner quelques repères.

 

Les termes qui suivent portent sur deux notions distinctes : l’exposition et le niveau de contamination. Pour rappel, le niveau de contamination correspond à la concentration d’une substance dans une matrice. L’exposition est la quantité de cette substance absorbée par un individu pendant un intervalle de temps donné, l’exposition est donc le produit du niveau de contamination par la consommation.

 

Des indices toxicologiques d’exposition pour évaluer le risque sanitaire

 

Les valeurs toxicologiques de référence (VTR) sont des “valeurs définissant le niveau d’une substance particulière auquel une personne peut être exposée sans danger pendant une période spécifiée” [1]. Elles sont spécifiques d’une voie, d’un effet et d’une durée d’exposition. C’est le plus souvent sur la vie entière qu’est estimée cette exposition, mais certaines VTR peuvent être déterminées pour des expositions aiguës ou subchroniques.

Les VTR sont élaborées par des autorités sanitaires internationales (comme l’OMS), européennes (comme l’Efsa ou l’EMA), mais aussi par des structures nationales comme l’Anses ou l’Agence de la protection de l’environnement des États-Unis (US EPA). Selon le type d’effet retenu et l’organisme ayant élaboré la VTR, son appellation diffère.

 

Deux catégories d’effets sont distinguées : les effets à seuil de dose et les effets sans seuil de dose. Les effets à seuil ne surviennent pas en-dessous d’un seuil d’exposition. Au-delà de ce seuil, leur intensité augmente avec la dose. Les effets sans seuil, quant à eux, surviennent sans seuil minimal et leurs probabilités de survenue augmentent avec les doses. Les premiers regroupent principalement les effets systémiques (ainsi que les effets cancérogènes non génotoxiques directs, pour les agences européennes) tandis que les seconds correspondent essentiellement aux effets cancérogènes (parmi ceux-ci, uniquement les génotoxiques directs, pour les agences européennes).

 

Parmi les VTR d’effets à seuil peuvent être citées les “Reference doses” (RfD) de l’US EPA, les “Minimal risk levels” (MRL) de l’ATSDR (agence US pour les substances toxiques), les “Acceptable daily intake” (ADI) ou “Tolerable Daily Intake” (TDI) de l’OMS, du RIVM (agence néerlandaise), d’Health Canada, de l’Efsa ou encore de l’EMA, ainsi que les “Dose Journalière Acceptable” (DJA) et “Dose Journalière Tolérable (DJT)” de l’Anses. Les ADI/DJA sont établies pour les résidus ainsi que les additifs, et les TDI/DJT pour les contaminants [2]. L’unité de ces VTR est généralement en milligrammes (ou microgrammes) par kg de poids corporel et par jour (mg/kg pc/j ou µg/kg pc/j). Elles sont parfois exprimées en valeurs hebdomadaires ou mensuelles lorsque les substances sont bioaccumulables.

 

La VTR des effets sans seuil correspond à un Excès de Risque Unitaire (ERU), désignant une probabilité supplémentaire de développer un cancer en étant exposé sur une durée vie entière à une unité de dose de la substance. L’ERU s’exprime en unité inverse de celle d’une dose, c’est-à-dire en (mg/kg pc/j)-1 ou (µg/kg pc/j)-1 [3]. L’US EPA a ainsi par exemple fixé en 2017 un ERU de 1 (mg/kg pc/j)-1 pour l’exposition orale chronique au Benzo(a)pyrène, indiquant donc qu’une exposition à 0,01 µg/kg pc/j (soit 10-5 mg/kg pc/j) durant la vie entière est associée à l’augmentation de l’incidence de cancer de 1 cas pour 100 000 personnes (10-5). 

 

 

Représentation graphique des différents types de doses critiques à partir d’une courbe dose-réponse, d'après [12]

Détermination des valeurs toxicologiques de référence

 

Afin d’élaborer une VTR, une analyse critique de la bibliographie est réalisée. À cette fin, des guides méthodologiques ont été rédigés par différentes agences [4, 5]. Les études toxicologiques et épidémiologiques les plus pertinentes (en termes d’espèce étudiée, de voie, de durée, de dose d’administration...) sont considérées. Parmi celles-ci, l’effet indésirable survenant à la plus petite dose, dite dose critique, est retenu comme effet critique. Il existe trois types de doses critiques :

  • le LOAEL (Lowest Observed Adverse Effect Level), valeur expérimentale correspondant à la plus faible dose testée entraînant un effet significativement différent de l’effet à dose nulle ; 
  • le NOAEL (No Observed Adverse Effect Level), valeur expérimentale correspondant à la plus forte dose testée n’entraînant pas d’effet indésirable ; Il s’agit pratiquement de la dose testée immédiatement inférieure à la LOAEL ;
  • la BMD (Benchmark Dose) qui est une « dose modélisée produisant un effet mesurable correspondant à un niveau de réponse donné par rapport à un groupe témoin » (Anses, 2015). La BMDL (Benchmark Dose Lower Bound), limite inférieure de l’intervalle de confiance de la BMD, est souvent utilisée. La BMD (ou la BMDL) est généralement préférée aux NOAEL et LOAEL car elle est moins dépendante des conditions expérimentales. 

 

Représentation graphique de l'extrapolation aux faibles doses pour déterminer l'ERU, d’après [12]

 

Pour les effets à seuil, des facteurs d’incertitude sont affectés à la dose critique déterminée, en tenant compte de la variabilité inter- et intra-individuelle, de la robustesse des études, des différences de durée d’exposition, de l’utilisation de l’une ou l’autre des valeurs critiques… La VTR qui en résulte est le rapport de la dose critique par le produit de ces facteurs, celui-ci étant généralement de l’ordre de 100 à 1000 [3]. Des VTR provisoires, telles que les doses journalières tolérables provisoires (DJTP) peuvent être proposées si la confiance dans les données est limitée.

 

Pour construire les VTR des effets sans seuil, diverses méthodes existent. Une de celles-ci, utilisée notamment par l’Anses et l’USA EPA, consiste à extrapoler à de faibles doses la BMDL modélisée en admettant l’hypothèse qu’il existe une relation linéaire entre l’exposition et la probabilité de l’effet nocif aux faibles doses, permettant la détermination de l’ERU.

Caractérisation du risque

 

La caractérisation du risque sanitaire se fait en comparant l’exposition de l’individu à la VTR déterminée. La notion de marges d’exposition (« margin of exposure », MOE) est pour ce faire de plus en plus utilisée. Ces MOE correspondent au rapport entre la dose critique (souvent la BMDL, ou le NOAEL) et l’estimation de l’exposition journalière. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une valeur permettant une évaluation quantitative du risque sanitaire, mais elle permet de hiérarchiser les risques. Ce terme est très utilisé pour les substances génotoxiques, puisque ces substances ne sont, par définition, pas dénuées de risque même si l’exposition est faible. Néanmoins, les MOE peuvent aussi être calculées pour des effets à seuils. Pour ceux-ci, lorsque l’évaluation est réalisée à partir d’un NOAEL, une MOE de 100 est généralement estimée acceptable tandis qu’elle est estimée acceptable à 10 000 pour les effets génotoxiques [3, 6].

 

Des valeurs de gestion réglementant la concentration des substances dans les denrées

 

A la différence des résidus, terme réservé aux produits phytosanitaires, médicaments vétérinaires et substances non autorisées, les contaminants sont des substances dont la présence dans les aliments, et aliments pour animaux, ne résulte pas d’une introduction intentionnelle mais d’une contamination involontaire. Cette contamination peut être environnementale ou se produire lors d’une ou plusieurs étapes de la chaîne alimentaire [7].

Pour les contaminants, les quantités maximales autorisées dans les aliments destinés à l’alimentation humaine ou animale sont des teneurs maximales(TM) (ou limites maximales, ou encore doses maximales). Ces normes sont exprimées en µg (ou mg)/kg. Elles sont l’équivalent des limites maximales de résidus (LMR) des produits phytosanitaires et des médicaments vétérinaires [1].

En Europe, ces valeurs limites réglementaires sont fixées par le gestionnaire du risque, la DG Santé de la Commission européenne, sur la base de recommandations de l’évaluateur de risque (l’Efsa, ou l’EMA pour les médicaments vétérinaires). Le dépassement de ces seuils entraîne le retrait des denrées concernées. Au niveau international, ces normes sont agrégées dans le Codex Alimentarius, issu d’un Programme mixte de l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) [8].

 

 

La détermination des LMR des médicaments vétérinaires (d’après ANMV, Anses)

 

Afin de fixer les LMR, le métabolisme de la substance est étudié afin d’identifier les composés toxicologiquement pertinents pour chaque tissu cible, qu’il s’agisse du composé parent ou d’un ou plusieurs de ses métabolites. Pour les médicaments vétérinaires, les LMR sont ensuite établies en tenant compte de la répartition des résidus dans les tissus animaux ainsi que de la quantité d’aliments d’origine animale consommés sur la base d’un panier moyen : la quantité totale de résidus présents dans ce panier ne doit pas dépasser la DJA [9]. Pour les produits phytosanitaires, les LMR sont obtenues en déterminant, à partir d’essais au champ et d’études de l’alimentation animale, les quantités de résidus persistant dans chaque type de denrées après l’utilisation de la substance selon des règles de bonnes pratiques agricoles. L’apport journalier maximum théorique (AJMT), exposition théorique calculée à partir d’une estimation des consommations alimentaires à l’échelle nationale et des LMR, est ensuite confrontée à la DJA. Si l’AJMT dépasse la DJA, le calcul de l’exposition théorique est affiné et au besoin, les pratiques agricoles et les usages sont modifiés ou supprimés [10].

 

Les teneurs maximales en contaminants sont fixées lorsqu’une évaluation des risques a mis en évidence des risques sanitaires pour la population. Elles sont établies uniquement pour les aliments dont le niveau de contamination est suffisamment important pour affecter l’exposition totale du consommateur, en ciblant les valeurs les plus protectrices dans la limite de ce qui est raisonnablement possible [11]

 

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Ce bulletin est rédigé par l’équipe de veille de la Plateforme de surveillance de la chaîne alimentaire. Il n’engage pas les membres de la Plateforme.