Streptococcus agalactiae n’est pas considéré à ce jour comme un danger biologique transmissible par les aliments. Cependant, la FAO prévoit la mise en place en septembre 2020 d’un groupe d’experts, suite à l’importante TIAC observée à Singapour en 2015. Cette TIAC était liée à une souche particulière de sérotype III et de séquence type ST-283 et à la consommation de poisson d’eau douce cru. Le BuSCA fait le point sur les caractéristiques de cet épisode, les flux d’importation vers l’Europe et la situation en France vis-à-vis de cette souche.

Des infections invasives d’origine alimentaire : une réalité en Asie du Sud-Est

Yusheng (source Timothy Barkham)
Yusheng (source Timothy Barkham)

Streptococcus agalactiae, aussi appelé Streptocoque du groupe B (SGB), est un streptocoque très largement répandu dans les populations humaines : environ un tiers de la population héberge cette bactérie dans son système digestif, génital ou urinaire. Cette bactérie pathogène cause des mammites chez les vaches laitières et des infections invasives chez les poissons [1]. Les infections humaines invasives à Streptococcus agalactiae d’origine alimentaire constituent un phénomène émergent en Asie du Sud-Est. En 2015, 238 cas ont été recensés à Singapour, associés à la consommation de Yusheng, une salade de poisson cru consommée pendant les festivités du nouvel an chinois [2]. Une souche particulière a été associée à cet épisode ; elle a été caractérisée de sérotype III et de séquence type ST-283. Cette souche a également été retrouvée en proportion importante dans les banques de souches de cas humains de plusieurs pays de la région (Thaïlande, Laos, Vietnam), ainsi que dans des sites de production de tilapias en Malaisie et au Vietnam, et dans des denrées alimentaires à base de poisson à Singapour [3]. Cet épisode a touché des adultes en bonne santé, ce qui est une caractéristique très notable car les streptocoques du groupe B infectent habituellement les nouveau-nés, les personnes âgées ou immunodéprimées. Une étude de cohorte rétrospective a ainsi montré que les patients atteints de l'infection ST-283, comparés à des patients infectés par des SGB non-ST-283, étaient plus jeunes et présentaient moins de comorbidités, mais étaient plus susceptibles de développer une méningo-encéphalite, une arthrite septique et une infection de la colonne vertébrale. Le taux de létalité a été de 3,4 %. L’émergence de S. agalactiae ST-283 en Asie du Sud-Est daterait des années 90. Cette souche a également été isolée au Brésil, la filière aquacole de ce pays ayant été contaminée lors d’importations de poissons vivants de Singapour [4]. Elle est donc clairement associée à une contamination de filières aquacoles et à des émergences de cas humains d’origine alimentaire. Elle représente donc une menace à la fois pour la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire des aliments. Ce constat a conduit la FAO à lancer un appel à données et à experts afin d'examiner et discuter les données et les documents de référence disponibles sur S. agalactiae du groupe B d'origine alimentaire, dans une perspective d'évaluation des risques [5]. L’Anses a publié en 2015 un avis sur la hiérarchisation des dangers sanitaires exotiques ou présents en France métropolitaine chez les poissons d’élevage. Trois streptocoques, dont S. agalactiae sont listés dans les dangers présents en France, mais le risque de contamination par voie alimentaire n’est pas évoqué [6].

Un flux important d’importations de poissons d’eau douce dans l’Union Européenne

Poissons d'eau douceEn 2019, 46 000 tonnes de poissons d’eau douce ont été importées dans l’Union Européenne. Quatre espèces sont concernées : la perche du Nil (44 %), le tilapia (32 %), la carpe (13 %) et les anguilles (1 %). La perche du Nil est importée principalement sous forme de filet frais, les autres espèces sont presque exclusivement importées congelées (-20°C). La perche du Nil provient des trois pays riverains du lac Victoria (Tanzanie, Ouganda et Kenya). Le tilapia provient principalement de Chine (82 %) et du Vietnam (11 %). Quant au mode de consommation, la texture de la chair de la perche du Nil n’est pas adaptée à la préparation en sushi et sashimi. Le tilapia est lui utilisable pour ces préparations crues [7] et son coût est attractif. Par ailleurs, les Streptocoques du groupe B survivent bien à une congélation à -20°C [8]. Face à l’engouement des préparations à base de poissons crus telles que le ceviche ou le namasu en plus des traditionnels sushi et sashimi, une augmentation de la fréquence d’exposition des consommateurs européens au SGB n’est pas à exclure.

Données de surveillance en santé humaine en France

En France, les maladies à streptocoques ne sont pas à déclaration obligatoire mais le Centre National de Référence [9] anime un réseau de laboratoires qui centralise environ 30 % des souches de streptocoques invasifs isolées en France. Par ailleurs, Santé Publique France surveille depuis 1987 par le réseau Epibac les infections invasives (méningites et bactériémies) d’origine bactérienne, qui sont une des principales causes infectieuses de morbidité sévère et de mortalité chez l’adulte et chez l’enfant [10]. Les infections invasives à SGB touchent en majorité des nouveau-nés. Les cas de méningite chez les adultes sont en nombre stable depuis plusieurs années : environ une dizaine de souches sont remontées au centre national de surveillance (CNR) chaque année. Un séquençage du génome complet de l’ensemble des souches collectées depuis plus de 10 ans est en cours par le CNR. Un typage de la capsule a déjà montré que près de la moitié des souches sont de sérotype III. Parmi celles-ci, une technique d’identification rapide a montré que 60 % sont de type ST-17, type qui a émergé à la fin des années 60 et connu pour être particulièrement responsable de méningite chez le nouveau-né. On peut donc déjà affirmer que le type ST-283 n’est pas prédominant. Par ailleurs, aucun lien géographique ou épidémiologique ne semble exister entre ces cas. ST-283 a cependant déjà été isolé en France : il a été retrouvé deux fois dans une étude portant sur 119 cas d’infections ostéo-articulaires par SGB [11].