En novembre dernier, l’EFSA a lancé un appel d’offre pour réaliser une étude bibliographique détaillée sur les grayanotoxines [1]. C’est l’occasion de faire le point sur ce danger chimique connu depuis l’antiquité et ayant entraîné des cas d’intoxination à la Réunion.

Strabon, un auteur grec, raconte comment « les Heptacomères massacrèrent trois cohortes de Pompée [...] en plaçant sur les chemins des pots de miel enivrant ». Xénophon relate également l’empoisonnement de soldats grecs par du miel. Ces auteurs antiques ne le savaient pas, mais ils rapportent là des cas d’intoxination par des grayanotoxines, contenues dans du « miel fou » [2].       

Rhododendron ponticum
        Rhododendron ponticum

Les grayanotoxines sont des dérivés diterpéniques, des toxines végétales synthétisées par certaines plantes de la famille des Ericaceae. Cinq plantes de cette famille en contiennent, dont le rhododendron pontique (le rhododendron des parcs). Les grayanotoxines agissent sur la pompe à sodium, de façon assez similaire au curare. Elles provoquent des troubles digestifs (vomissements et nausée), cardiovasculaires (hypotension, troubles du rythme) et nerveux (étourdissements, troubles de la conscience). Les différentes parties de la plante (fleurs, fruits, feuilles, nectar) sont toxiques. Le miel produit à partir des fleurs de ces plantes, appelé «  miel fou », peut également s’avérer toxique. Trois types de grayanotoxines (I, II et III) ont été identifiées dans ces miels. Les grayanotoxines sont rarement mortelles chez l’Homme, mais elles le sont chez certaines espèces animales (bovins, ovins, caprins, chevaux, chiens…). Le miel de rhododendron a aussi été proposé comme rodenticide. [3].

Les miels fous proviennent principalement des régions côtières de la Mer Noire en Turquie et des montagnes de l’Himalaya, où le rhododendron pontique est abondant. En Turquie, le miel fou est toujours produit de manière traditionnelle, et intentionnelle, dans des ruches creusées dans des troncs de tilleuls [4].

En 2018, 3 482 tonnes de miel ont été importées dans l’UE en provenance de ce pays. Ceci représente 2 % des importations de l’UE.

Hampe florale de Agarista salicifolia
Hampe florale de Agarista salicifolia

Les cas contemporains d’intoxination aux grayanotoxines sont principalement répertoriés en Turquie [5],[6]. En France, des cas ont été observés à la Réunion. La plante mise en cause n’est pas Rhododendron ponticum, mais Agarista salicifolia, appelé bois de gale, qui est également de la famille des Ericaceae. L’origine des cas peut-être une décoction [7] ou du miel [8] dit «  en rayons », c’est-à-dire du miel contenu dans ses alvéoles en cire d’origine. Ce miel brut, aussi appelé « miel en gaufre », contient du nectar, de la cire et éventuellement du pain d’abeilles (pollen stocké dans les alvéoles). L’ensemble est ingéré par le consommateur. La concentration en toxines ingérée est alors plus élevée que dans du miel classique, dans lequel le miel est extrait des alvéoles, filtré, éventuellement mélangé avec d’autres miels puis mis en pot. Suite à ces cas, la vente du miel en rayon a été interdite à la Réunion, pendant la période de floraison de cette plante.

 

 

Répartition de Rhododendron ponticum en France
Répartition de Rhododendron ponticum en France

Rhododentron ponticum a été introduit en France et en Europe comme plante ornementale. Il produit une grande quantité de graines après 12 à 15 ans de vie et peut coloniser forêts et landes. Dans certaines régions de France métropolitaine, il est classé comme une plante envahissante. Deux conditions doivent être réunies pour qu’il devienne invasif : le climat doit être « océanique franc » et le sol acide ; la Bretagne (principalement le Finistère) et l’ancienne Basse-Normandie réunissent ces caractéristiques pédoclimatiques [10]. En Europe, les pays les plus concernés sont le Royaume-Uni et l’Irlande. Les rhododendrons invasifs seraient cependant moins riches en grayanotoxines que les populations d’origine. Ceci serait dû à un phénomène de sélection ; les plants moins chargés en grayanotoxines auraient une plus forte capacité de multiplication [11].

Enfin, le rhododendron que l’on trouve dans les Alpes et les Pyrénées, à la limite des derniers arbres de l’étage subalpin, n’est pas Rhododendron ponticum ; c’est le Rhododendron ferrugineux (Rhododendron ferrugineum). Il fait également partie de la famille des Ericaceae mais ne contient pas de grayanotoxine [12]. Son miel n’est pas toxique [13].